Le secteur bancaire éthiopien en restructuration progressive

Dominé par un établissement public, la Commercial Bank of Ethiopia (CBE ; 49,5 % des actifs), le secteur bancaire a longtemps été administré par l’Etat. Depuis l’adoption du paquet de réformes HomeGrown Economic Reform (HGER 1.0) en 2019, le secteur bancaire est entré très progressivement dans une phase de réformes, largement inachevée mais à l’ambition réitérée dans le HGER 2.0 en 2024. Le gouvernement a tenté de prendre une série de mesures afin de soutenir la transition vers une économie financée par le secteur privé en permettant l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché et est sur le point d’engager une ouverture aux capitaux étrangers.

Un secteur historiquement dominé par la banque publique CBE, aujourd’hui fortement concurrencée par les banques privées

Administré par l’État depuis des décennies, le secteur bancaire éthiopien est l’objet d’importantes transformations depuis le démarrage du programme FMI fin 2019. Le secteur bancaire éthiopien est dominé par deux banques publiques : la Commercial Bank of Ethiopia (CBE) et la Development Bank of Ethiopia (DBE), 29 banques commerciales privées et 43 institutions de microfinance. A fin juin 2023, le total des actifs du secteur bancaire s'élevait à 3,0 Tn ETB (soit 34,4 % du PIB), soit + 20,1 % par rapport à l’année précédente. Depuis 2021, le secteur bancaire a été marqué par une augmentation importante du nombre de banques privées (+12). L’ensemble des banques privées représentait 72,6 % du capital, 53,4 % des prêts et obligations, 51,3 % des dépôts et 50,5 % des actifs du secteur bancaire en juin 2023.

Le secteur bancaire continue d’afficher de bonnes performances malgré les chocs dus aux conflits internes, et aux défis de l’environnement réglementaire. L’année fiscale 2022/23 a vu une croissance de +24,6 % pour les dépôts et +24,3 % de croissance des prêts. Toutefois, le ratio de prêts sur PIB est passé de 16,0 % à 14,3 % entre 2021/22 et 2022/23. Il s’agit d’un taux très faible en comparaison avec les données internationales. L’objectif défendu par le gouvernement est d’augmenter ce taux, ce qui permettra par ailleurs de réduire les risques de concentration du crédit, identifiés par la NBE dans un rapport d’avril 2024[1]. Depuis 2021, les nouveaux prêts accordés au secteur privé ont dépassé ceux destinés aux entreprises publiques : 61,7 % ont été accordés au secteur privé et aux particuliers en 2023, et 38,3 % aux entreprises publiques. Afin de contenir l’inflation, la NBE a introduit en août 2023 un plafond d’augmentation annuelle du crédit des banques commerciales à 14 %.

Les dépôts totaux ont atteint 2,2 Tn ETB (24,7 % du PIB) en juin 2023, soit une hausse de +24,6 % par rapport à l’année passée. A elle seule, la CBE représente 49,5 % des actifs (61,8 % en 2021), 46,7 % des prêts et obligations et 48,7 % du total des dépôts. Son bilan souffre d’une surexposition sur quelques entreprises publiques à la solvabilité discutable. La part des prêts non performants (PNP) des banques privées aurait, quant-à-lui, légèrement diminué entre juin 2022 et 2023 de 3,9 à 3,6 %, soit en dessous du maximum règlementaire de 5,0 %. L’inflation aide également à diluer le poids des prêts douteux et favorise les remboursements.

Des réformes attendues en faveur d’une ouverture du secteur bancaire aux acteurs étrangers

Afin de soutenir la transition vers une économie financée par le secteur privé, le gouvernement éthiopien a annoncé une réforme profonde du marché bancaire. Une réforme emblématique a été mise en œuvre à travers la suppression fin 2019 de la « règle des 27 % » qui obligeait les banques commerciales à acheter des bons de la Banque centrale, la National Bank of Ethiopia (NBE) à hauteur de 27 % de leurs dépôts, ce qui constituait un obstacle au développement du secteur privé. Une règle similaire a néanmoins été mise en place en novembre 2022, obligeant les banques à acheter l’équivalent de 20 % de leurs prêts en Bons du Trésor chaque mois. La NBE a adopté une directive en septembre 2020 autorisant des prêts garantis par des biens mobiliers, mais dans la pratique très peu de banques l’autorisent. La NBE avait également relevé le niveau de réserves obligatoires des banques commerciales de 5 à 10 % (revenu à 7 % en juin 2022) et imposé un gel des prêts d’août à novembre 2021.

Le Premier ministre a annoncé début 2022 que le secteur bancaire éthiopien serait prochainement libéralisé et ouvert aux banques étrangères. Fin mars 2023, un comité a été mis en place pour libéraliser le secteur bancaire, modifier le Code financier éthiopien, et conduire à un assouplissement des restrictions devant permettre aux banques étrangères d’investir en Ethiopie. La loi a été adoptée en Conseil des ministres et les directives d’application sont en train d’être finalisées. Le projet de loi a été approuvé par le conseil des ministres le 14 juin 2024 et nécessite à présent d’être discuté et voté au Parlement avant d’être promulgué. L’objectif est de permettre aux banques étrangères d’acquérir des parts dans des institutions financières existantes (à hauteur de 49 % maximum) ou d’ouvrir des filiales détenues intégralement. Ces réformes, réaffirmées dans le HomeGrown Economic Reform 2.0, sont également soutenues par une assistance technique du groupe Banque mondiale via la Société Financière Internationale (SFI) à la NBE. L’ouverture à la concurrence dans le secteur bancaire, des assurances et des fintechs a pour objectif d’améliorer l’accès au crédit mais aussi de faciliter l’accès aux devises. Des acteurs régionaux ont fait part de leur intérêt pour l’ouverture possible du secteur bancaire : les kényanes KCB Bank, Equity ou Standard Bank, ainsi que des banques égyptiennes et émiriennes.

Les réformes visent au renforcement de la règlementation et supervision bancaire. La réglementation du secteur bancaire éthiopien demeure à mi-chemin entre Bâle I et Bâle II. Depuis 2019, avec le soutien du FMI, la NBE s'efforce de passer à Bâle II. La stratégie de la NBE 2023-2026 vise l’objectif d’adoption des standards de Bâle II et III d’ici juin 2025 afin de pouvoir remédier à certains risques systémiques. Le service en charge de la supervision à la Banque centrale ne compte toutefois qu’une cinquantaine d’agents pour 31 établissements bancaires, limitant sa capacité à faire appliquer les évolutions règlementaires en cours (ouverture des banques aux capitaux étrangers notamment).

Une inclusion bancaire qui reste faible, mais le développement des moyens de paiement numérique pourrait l’accélérer

L’inclusion financière progresse et s’élevait à 46 % en 2022 selon la Banque mondiale (contre 22 % en 2014), mais reste largement inférieure à celle d’autres pays d’Afrique de l’Est (79 % au Kenya ; 77 % au Rwanda).

Le gouvernement éthiopien souhaite favoriser le développement des transactions électroniques. En mai 2020, le parlement a approuvé à l'unanimité le projet de loi sur les transactions électroniques qui établit le cadre juridique permettant au gouvernement et aux institutions privées d’offrir des services numériques, principalement des services de commerce et de paiement électronique. Depuis avril 2023, l’achat des carburants doit être réalisé via un moyen de paiement numérique (Telebirr, CBEbirr). Entre juin 2022 et 2023, le nombre de comptes mobile money a augmenté de 67,5 % pour s’établir à 27,5 millions, tandis que la valeur des transactions numériques a été multipliée par 3, pour un total de 4,7 trillions ETB. Arrivée sur le marché éthiopien du mobile money en mai 2023, la société kényane Safaricom, via son application M-Pesa, comptabilise déjà près de 4,5 millions d’utilisateurs dans le pays.



[1] NBE (2024) Financial Stability Report.

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