L’Ethiopie maintient l’objectif d’être la grande puissance énergétique régionale malgré des difficultés chroniques

L’Ethiopie entend devenir une puissance électrique régionale avec le GERD, plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique. C’est déjà en partie le cas, le pays fournissant une énergie verte et bon marché à trois de ses voisins. Mais l’Ethiopie voit plus loin et souhaite puiser dans son vaste potentiel géothermique, solaire et surtout hydroélectrique pour développer une capacité excédentaire et exportable. Ces prochains développements dépendront en grande partie du développement des PPP et des contrats de vente du courant à l’électricien public EEP. Bien que les conditions ne semblent pas réunies en ce sens à l’heure actuelle, l’offre française dans le domaine pourrait être très pertinente en Ethiopie sur le plus long terme.

Un mix électrique quasi-intégralement fondé sur les énergies renouvelables, tourné vers l’export

L’Éthiopie est un des seuls pays au monde à présenter un mix électrique intégralement renouvelable : 96,2 % de sa production correspond à de l’hydroélectricité, 3,6 % à de l’éolien et 0,2 % à la biomasse. La capacité installée a plus que doublé depuis 2013 pour atteindre 5 692 MW en 2022, afin de répondre à la demande croissante, tirée par l’industrialisation et l’objectif d’électrifier l’ensemble de la population d’ici 2025. La croissance des capacités installées de ces dernières années – 4 862 MW en 2021 s’explique par l’augmentation des capacités de production hydroélectrique.  En 2021, seul 54,2 % de la population disposait d’une connexion à l’électricité, avec en outre une grande disparité territoriale : 94,3 % de la population a accès à l’électricité en zone urbaine contre seulement 42,8 % en zone rurale en 2021. Si la consommation par habitant a plus que doublé entre 2010 et 2020, elle demeure contrainte par la production réelle, en stagnation ces trois dernières années et même en léger recul entre 2021 et 2022 malgré l’augmentation de la capacité installée : 15,1 TWh en 2020, 15,8 TWh en 2021 et 15,5 TWh en 2022[1], en raison principalement de la vétusté des installations. Le taux de pertes techniques sur le réseau se porte à 23 %.

Le principal projet de production d’électricité en Éthiopie concerne le barrage hydroélectrique de Grand Renaissance (GERD), sur le Nil Bleu, à proximité de la frontière avec le Soudan. Amorcé en 2011, le GERD a accusé de nombreux retards et surcoûts : alors que sa finalisation était initialement prévue pour mi-2017, la construction serait actuellement achevée à 90 %. Il disposera à terme d’une capacité de production de 5,2 GW pour un investissement de 4,8 Mds USD. La construction de l’ouvrage a été confiée à l’énergéticien national en 2018 devant l’incapacité du conglomérat militaro-industriel public MeTEC à superviser le chantier. Ce projet est source de tensions avec le Soudan et l’Égypte situés en aval du fait que le remplissage du bassin et l’exploitation du barrage pourraient modifier le débit du fleuve en aval. Deux turbines, d’une capacité de 250 MW chacune, ont été mises en eau mi-2022. Début septembre 2023, le Premier Ministre Abiy Ahmed a annoncé la fin du 4ème et dernier remplissage des réservoirs du GERD alors que des négociations avec Egypte étaient prévues. Il est douteux que ce 4ème remplissage soit effectivement le dernier et pourvoie aux besoins des futures 13 turbines.

En 2018, le ministère des Finances a annoncé le lancement de 14 PPP pour un montant total de 6 Mds USD pouvant générer 2 798 MW : 5 projets hydroélectriques (1 848 MW), 8 projets solaires (950 MW) et des lignes de transmission et sous-stations. Cinq nouveaux projets éoliens ont depuis été ajoutés à cette liste (710 MW - 1,2 Md USD). Néanmoins, cette liste reste très théorique et le gouvernement fait depuis face à de nombreuses difficultés sur ces PPP, notamment dans le domaine solaire en raison des problèmes de devises, du manque de financements et du faible degré d’appropriation des PPP par les autorités. Ainsi au printemps 2022, l’intégralité des projets solaires - or ceux émiriens (MASDAR) - ont été suspendus. Suite à ces échecs, le gouvernement éthiopien a annoncé qu’il payerait désormais en devises les entreprises étrangères impliquées dans la production d'électricité. L’objectif de cette annonce était notamment de relancer les projets de PPP solaires de Gad et Dicheto (remportés par le saoudien Acwa Power pour la génération de 250 MW et un coût total de 300 MUSD) ainsi que Wolenchiti et Hurso (275 MW, pour 315 MUSD).

Afin de générer des devises, l’Éthiopie ambitionne de devenir l’un des principaux exportateurs d’électricité en Afrique de l’Est, grâce au GERD notamment. On constate que les recettes liées à l’exportation d’électricité sont en hausse : sur l’année fiscale 2019/20, les exportations d’électricité à destination de Djibouti et du Soudan ont généré 66,4 MUSD soit 2,2 % du total des exportations éthiopiennes et sur l’année 2021/2022, 93,5 MUSD soit 3,3 % du total. Enfin sur l’année fiscale 2022/2023, l’Ethiopie a généré 83 Mds USD grâce aux exports d’électricité.  Une seconde ligne de transmission entre l’Éthiopie et Djibouti est en cours de construction depuis octobre 2022 sur financement BAD. En outre, l’Éthiopie a signé un PPA avec le Kenya pour l’achat d’électricité sur 25 ans à faible prix (0,065 USD/kWh) fin 2022, suite à la mise en service de la ligne électrique à haute tension Sodo – Moyale – Suswa (interconnexion HVDC Éthiopie-Kenya sur financement AFD, Banque Mondiale et BAD). Déjà en janvier 2023, ces exportations éthiopiennes représentaient 58 % du total des importations d’électricité kenyanes. En outre, en mai 2022, l’Ethiopian Electric Power (EEP) a signé un protocole d’accord pour l’exportation d’électricité vers le Soudan du Sud. Prévu sur trois ans, l’accord vise à réaliser une étude de faisabilité et à construire une ligne de transmission en direction du Soudan du Sud. Dans un premier temps, cela permettrait d’exporter une capacité de 100 MW d’électricité, avec pour objectif d’atteindre 400 MW à terme. Les ventes d’électricité pourraient devenir l’un des principaux postes d’exportation du pays et représenter 600 MUSD de recettes par an à terme, d’après la BM. Pour atteindre ces objectifs sur le long terme, il faudra également que les pays acheteurs envisagés (Djibouti, Kenya, Soudan, Sud-Soudan) restent solvable et acceptent politiquement de dépendre en partie des importations éthiopiennes.  

Un système qui doit encore trouver son équilibre financier

Les énergéticiens nationaux ont longtemps recouru aux obligations de court terme afin de financer des actifs de long terme, ce qui a créé des difficultés de trésorerie ainsi qu’un surendettement global. La Commercial Bank of Ethiopia (CBE) a annulé la dette d’EPP en 2021 – 50 % d’une dette totale de 192 Mds ETB soit 4,86 Mds USD, cela représente la totalité de la dette contractée par l’entreprise entre 2004 et 2017. Cette annulation a pris la forme d’une prise de participation au capital d’EPP à hauteur du montant de la dette. On peut l’expliquer notamment par le tarif de vente de l’électricité aux consommateurs le plus bas d’Afrique Sub-saharienne pendant une décennie, à 0,02 USD/kWh, qui a pesé sur la viabilité du secteur car très éloigné des coûts de production.

Le gouvernement, appuyé par la BM, a mis en place un plan d’augmentation différenciée des tarifs sur la période 2018-2021 (allant de 0 % d’augmentation pour les plus petits consommateurs et jusqu’à +130 % pour les plus gros) de manière à atteindre un prix moyen du kWh de 0,07 USD. La première augmentation des tarifs a permis au secteur d’enregistrer une perte nette limitée à 0,6 % du PIB en 2018/19, en recul de 0,4 point par rapport à l’année précédente. Dans le contexte très inflationniste de l’ensemble des prix des trois dernières années, on peut également souligner que l’augmentation réelle des prix de l’électricité a été très faible et que la situation antérieure tend probablement à se reconstituer. La question des coûts de production semble mal maîtrisée par la compagnie publique, ce qui pèse sur la viabilité financière du secteur.

De manière générale, les bailleurs occupent aujourd’hui une place significative dans le financement du secteur et de ses infrastructures et plus particulièrement la BAD et la Banque Mondiale. En raison du besoin d’investissement massif du secteur, les PPP peuvent constituer un important canal de mobilisation des financements privés, tout en améliorant l’efficience du secteur. Mais les développeurs privés se heurtent structurellement à la grande faiblesse des prix de l’électricité leur décorrélation de toute réalité économique. Il est dans ces conditions complexe de monter un PPP « bancable » et reposant sur un prix de vente du courant à EEP qui représente un multiple de sa propre capacité actuelle de recouvrement par la vente aux consommateurs. Le secteur des PPP se développe donc très lentement. Par exemple, à l’heure actuelle aucun PPP hydroélectrique n’a vu le jour dans le pays, malgré son potentiel et la volonté du gouvernement. Une directive de la NBE datant de septembre 2023 est cependant de bon augure. Elle stipule que les entreprises étrangères pourront dans le cadre de PPP dans le secteur de l’énergie ouvrir un compte offshore en devises pour y déposer des fonds en dette ou en fond propre du projet. Cette directive devrait permettre de stimuler les investissements dans le secteur en permettant d’éviter la pression sur les devises qui compromet le financement de tout projet dans le pays.

Des acteurs privés français bien présents dans le secteur 

La France s’est bien positionnée ces dernières années dans le secteur en remportant des marchés emblématiques, débutant avec Vergnet en 2008, qui a construit la première ferme éolienne (120 MW) grâce à un financement français (AFD + banques commerciales). En 2012, GE Hydro France a signé avec MetEC, responsable de la fourniture des équipements électromécaniques pour le GERD, un contrat pour la fourniture des huit premières turbines du barrage. Parallèlement, GE Grid Solutions France exécute un contrat pour la fourniture de 16 disjoncteurs de générateur pour le GERD. En outre, la société Tractebel (filiale d’Engie) a remporté en 2011 en consortium avec l’italien Electroconsult, le contrat d’ingénierie pour le GERD.  

 



[1] Les chiffres pour 2020 et 2021 sont ceux de la Banque mondiale, celui de 2022 celui de la Banque Centrale éthiopienne.

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