ÉTHIOPIE
Des progrès insuffisants dans l’accès à l’assainissement, faute de financements adéquats
L’Ethiopie dispose d’un taux d’accès à l’assainissement faible, mais en progrès, avec des disparités urbaines-rurales pour l’accès aux services de base très marquées. L’assainissement en Ethiopie souffre d’un modèle institutionnel et économique inefficace, ce qui oblige le gouvernement à solliciter l’action des bailleurs pour le financement partiel et l’appui à la structuration du secteur.
L’accès à des services d’assainissement basiques progresse mais reste limité par des infrastructures insuffisamment développées au regard de la croissance démographique du pays
L’Ethiopie est l’un des pays les moins bien dotés en matière d’assainissement à l’échelle mondiale. Elle affiche encore un taux moyen de défécation à l’air libre de 17,0 % en 2020, la plaçant au premier rang des pays les plus impactés par cette pratique dans la région AEOI. Sur les 83% restant de la population, 65,3% a accès à un assainissement non-amélioré.
D’importants progrès ont toutefois été constatés en Ethiopie : le pays affiche notamment la plus importante réduction du taux de défécation à l’air libre depuis les années 2000 (baisse de 50 points de % en vingt ans) venant ainsi crédibiliser les objectifs fixés par le gouvernement en matière d’assainissement comme l’éradication de la pratique de défécation à l’air libre d’ici à 2024. De fortes disparités se maintiennent néanmoins entre les zones urbaines (taux d’accès à des services basiques d’assainissement atteignant 21,4% de la population) et les zones rurales (5,4%).
Les infrastructures existantes sont insuffisantes face à la croissance démographique et la demande qui ne cesse de croitre. Dans la capitale, moins de 10 % de la zone urbaine serait raccordée au réseau d'égouts (la croissance urbaine non réglementée et la forte proportion d'établissements informels rendent toutefois difficile l’actualisation de ce chiffre). La majorité des ménages addissois (75%) utilisent une latrine à fosse simple, qu’ils partagent le plus souvent avec leurs voisins. En l’absence de chaîne de services d’assainissement intégrée comprenant la collecte, le transport, le dépôt et le traitement des eaux usées, les boues de vidange non traitées sont directement déversées dans le sol, les drains, ou les cours d’eau naturels, avec de fortes incidences sur la contamination de l’environnement et l’augmentation des risques sanitaires.
La ville dispose de deux stations d'épuration. Une première située dans le quartier de Kality est opérée par l’entreprise chinoise China Gezhouba Group Co. Ltd. (CGGC) depuis 2019 et reçoit les effluents de 7 des 10 communes d’Addis-Abeba. Cette dernière aurait une capacité nominale de 100 000 m3 par jour[1] mais opère en sous-capacité en raison du faible développement du réseau d’assainissement dans la ville. La seconde, située à Kotebe, ne reçoit que les boues des camions vidangeurs de fosses septiques.
Ce manque d’infrastructures en matière d’assainissement a un impact sanitaire direct sur la population. Selon le gouvernement éthiopien, près de 60% des maladies pourraient être liées à de mauvaises conditions d’hygiène et d’assainissement. En 2016, le taux de mortalité attribué au manque d'accès sécurisé à l'eau, l'assainissement et au manque d'hygiène s’élevait à 43,7 pour 100 000 habitants selon la Banque Mondiale. Les rejets d'eaux usées industrielles (en provenance des parcs industriels notamment mais aussi des exploitations de café) sont également une problématique en Ethiopie au regard de leur impact sur la qualité de l’eau des rivières.
Une organisation institutionnelle et financière fragile
Historiquement, différents établissements et ministères (Eau et Energie, Education et Santé) sont impliqués dans le secteur de l'assainissement, particulièrement en milieu urbain, sans véritable coordination des rôles et mandats, ce qui crée des chevauchements dans les différentes stratégies mises en place. Pour clarifier les rôles et responsabilités, le secteur a fait l’objet de réformes conduisant notamment à la décentralisation progressive de la gestion des services de l’eau et de l’assainissement au niveau régional (bureaux de l’eau) et municipal à partir de 2016. La stratégie nationale de gestion des eaux usées urbaines (Urban Waste Water Management Strategy) indique en effet que les autorités de l'eau à différents niveaux et les municipalités sont responsables de la planification, de la mise en œuvre et du pilotage des systèmes de gestion des eaux usées, tandis que d'autres secteurs tels que la santé et l'environnement jouent un rôle de promotion, de prise de décision, de suivi et d'évaluation.
L'Éthiopie souhaite atteindre l'objectif de développement durable (ODD) 6.2 en matière d'assainissement comprenant un accès à universel à l’assainissement d'ici 2030, avec un objectif intermédiaire de 60 % de la population disposant d'installations sanitaires de base d'ici 2025. L’atteinte de ces objectifs est particulièrement contrainte par le manque de financement dans le secteur de l’assainissement, qui est structurellement non rentable en raison d’une faible mobilisation des utilisateurs, la disponibilité à payer pour ces services étant très faible, notamment en milieu rural. L’Ethiopie aurait besoin de 3,2 Mds USD par an pour atteindre les objectifs des ODD relatifs à l'eau, à l'assainissement et à l'hygiène[2]. En 2021, le budget du gouvernement pour le secteur eau et assainissement était de 218 MUSD (UN WATER, 2022).
Le principal instrument mis en place par le gouvernement pour atteindre les objectifs en matière d'eau, d'assainissement et d'hygiène est le programme national One WASH (OWNP). Ce programme, divisé en plusieurs phases, rassemble quatre ministères clés du gouvernement et leurs agences connexes pour moderniser la façon dont les services d'eau et d'assainissement sont fournis à la population. Une enveloppe d’1,6 Md USD était réservée pour la phase I du programme (2013-2017), avec une contribution du gouvernement à hauteur de 47% du budget total. Cette phase a toutefois souffert d’un décaissement faible malgré le niveau d’engagement élevé du gouvernement et des bailleurs pour la financer.
Un secteur soutenu par les bailleurs de fonds internationaux, qui tentent de coordonner leur action
Les bailleurs sont très actifs dans le secteur et tentent d’harmoniser leurs activités pour une contribution plus rationalisée et plus facilement intégrable aux plans de développement du gouvernement. Plusieurs bailleurs participent financièrement au Consolidated WASH Account (CWA), un compte multi-bailleurs visant à financer la mise en œuvre du programme national OWNP. Parmi les bailleurs finançant la phase II via le CWA, on retrouve notamment la Banque Mondiale (crédit AID de 300 MUSD), la BAD, le gouvernement finlandais (4 M EUR), la Korea International Cooperation Agency et l’UNICEF. L’AFD, elle, intervient dans le secteur via deux projets en cours : (i) un projet d’accompagnement du Water Resources Development Fund, fonds créé en 2002 pour mobiliser les ressources en prêt du secteur de l’eau et assainissement, dans la mise en œuvre d’un mécanisme permettant de reconstituer la capacité de financement des investissements des villes secondaires dans le secteur de l'eau (co-financé par la BEI – 41,9 M EUR, la Coopération Italienne – 18,5 M EUR et l’Agence Française de Développement - 21 MEUR) ; (ii) le soutien au projet de la Banque Mondiale UWSSP II qui a pour objectif d’accroître l'accès à l'approvisionnement à Addis-Abeba et dans 22 villes secondaires (subvention AFD de 15 M EUR sur 457,8 M EUR).
Des opportunités existent pour le secteur privé français, sur les segments de consultance notamment. La réalisation d’études préalables (comme avait pu le faire Seureca, sur fonds AFD, dans le cadre d’un projet de construction d’une station de traitement des eaux usées à 22km au nord d’Addis Abeba) ou la fourniture de solutions de traitement décentralisées, peuvent constituer des segments d’opportunités pour les entreprises françaises. Sur les projets des bailleurs, les entreprises françaises pourraient se positionner sur des ouvrages qui requièrent un degré de technicité (stations de traitement, notamment avec composantes d’opération), tandis que les marchés de construction, de pose de canalisations ou de fourniture de composantes à faible valeur ajoutée seront moins favorables. L’approbation d’un programme FMI, en cours de négociation, et conséquemment le réengagement des bailleurs (notamment de l’AFD) suite à ce programme pourraient également créer une plus large palette d’opportunités pour les entreprises françaises.