ÉTHIOPIE
Construction : un secteur pilier de l’économie, contraint par l’accès difficile aux matériaux clés
Le secteur de la construction représentait 20,6 % du PIB éthiopien en 2021/2022. Affichant une croissance annuelle moyenne de près de 10 % sur les 5 dernières années, le secteur est depuis 2020 contraint par les pénuries régulières de ciment, et les difficultés d’importation de fer et d’acier, liées à la pénurie de devises. Les ambitions éthiopiennes en matière de développement hydroélectrique ou d’infrastructures de transport, ainsi que les importants besoins de reconstruction au Tigré, devraient soutenir le développement du secteur de la construction dans les prochaines années. Outre la place importante des entreprises de construction locales (Midroc, Sunshine, Afro-Tsion), les entreprises chinoises sont parmi les plus actives, présentes dans tous les secteurs, tandis que la présence des entreprises françaises reste marginale (production de certains matériaux, architectes consultants).
Un secteur de la construction particulièrement dynamique au cours des 10 dernières années mais récemment affecté par les pénuries de ciment
La construction est un des principaux secteurs économiques du pays, représentant 20,6 % du PIB en FY21/22. Le PIB du secteur de la construction a connu une augmentation constante entre 2013 et 2022 (+ 303 %), passant de 116,6 Mds ETB à 468,4 Mds ETB. Sa part dans le PIB a doublé au cours de la même période, de 10,5 % du PIB en 2013 à 20,1 % en 2019. Il se stabilise depuis aux alentours de 20 % du PIB (voir Figure 1).
Le secteur revêt une dimension sociale importante. La majorité des emplois du secteur sont caractérisés par une forte informalité : près de 65 % des travailleurs dans la construction ne possèdent pas de contrat de travail. Ce taux est plus élevé chez les travailleurs peu qualifiés (78 %) que chez les semi-qualifiés (39 %)[1].
L’Ethiopie est le 7ème producteur de ciment du continent – et le premier de la région AEOI – avec une production qui s’est élevée à 7,7 Mt sur FY20/21. Elle est assurée par 23 usines opérées par 13 entreprises locales et étrangères. L’entreprise nigériane Dangote Cement Ethiopia est un des principaux acteurs du marché (environ 30 % de la production) – sa contribution aux recettes fiscales du pays s’élevant à 58 MUSD (1%) – suivie par Derba Midroc Cement, Mugher, Messebo, Habesha et National Cement. En dépit de capacités installées de 18 Mt, la production reste toutefois inférieure à la demande (gap de 5,5 Mt en FY20/21) à cause d’un accès limité aux pièces détachées des machines de production (liés aux problèmes de devises) et aux coupures d’électricité régulières. Le problème d’accès aux devises propre au secteur est particulièrement aigu, le gouvernement ayant interdit en 2018 l’exportation de ciment pour sanctuariser la production en faveur du marché national, supprimant la capacité des cimentiers à générer de la devise. Suite à la levée du blocage des investissements étrangers dans la production de ciment en 2020, plusieurs projets de construction d’usines de production ont été annoncés. Lemni National Cement, co-entreprise entre l’éthiopienne East African Holding Company et West China Cement Limited, construit actuellement une usine de production de ciment d’une capacité de 10 000 t/jour qui devrait être achevée en mars 2024. Les pénuries restent toutefois très fréquentes et contraignent le développement du secteur, la production ayant subi une diminution de -23 % entre le T1 de FY21/22 et le T1 de FY22/23. Les prix ont ainsi doublé au cours de l’année 2022, contraignant le Ministère du Commerce et de l’Intégration régionale à réguler le prix de sortie d’usine à partir de septembre 2022, augmentant le commerce parallèle de ciment. Le prix maximum de vente a été officiellement fixé à 1200 ETB / 100 kg en janvier 2023 (19,65 €).
Le pays est également dépendant des importations de fer et d’acier indispensables au secteur. Une dizaine d’entreprises de production d’articles en fer ou acier sont implantées en Ethiopie, la plupart importent l’acier et le fer brut pour les transformer en divers sous-produits. Malgré la présence de réserves (en région Amhara notamment) et l’existence d’un plan de développement sectoriel du ministère des Mines, il n’y a pas à l’heure actuelle d’activités d’extraction et d’exploitation du minerai de fer en Ethiopie. Les importations sont en diminution régulière depuis 2019 (- 44 %) faute de devises. La Chine est le premier fournisseur d’acier et de fer (45,0 %), suivie par la Turquie (19,1 %) et l’Inde (11,5 %).
Les ambitions éthiopiennes et les forts besoins en infrastructures soutiennent le développement du secteur de la construction
L’Ethiopie entend devenir une puissance électrique régionale par la construction de barrages, dont le plus emblématique est le GERD avec 5,2 GW de capacité à terme. Le gouvernement a par ailleurs annoncé en 2018 le lancement de plusieurs projets en PPP. Si ces ambitions se heurtent pour le moment à de nombreuses difficultés de concrétisation (problème de devises, manque de financement, faible degré d’appropriation des PPP par les autorités), ces projets pourraient à terme dynamiser le secteur de la construction. Par ailleurs, afin de mettre en œuvre son plan de développement du secteur des transports (2020-2030), le gouvernement envisage de mobiliser 3,0 trillions ETB (58 Mds USD) au cours des 10 prochaines années. Ce plan inclut notamment : le développement du rail (Master rail network development plan), des transports urbains, d’entrepôts logistiques, aéroports et terminaux. S’agissant du segment routier, le gouvernement a étendu son réseau de routes, à travers l’Ethiopia’s Road Sector Development Program notamment, mais les besoins restent importants. En juin 2020, l’Ethiopie possédait près de 144 000 km de routes, soit 41 % du réseau estimé nécessaire ; l’objectif affiché est de porter ce réseau à 246 000 km en 2030[2]. Le gouvernement affiche également des ambitions de construction de parcs industriels et de logements. Les besoins de reconstruction au Tigré viendront également soutenir la croissance du secteur de la construction. Les bailleurs occupent une place importante dans le financement de ces infrastructures et des activités de construction. Parmi les projets récemment octroyés, il est possible de noter le don de 730 MUSD de l’AID pour construire une route 2*2 voies sur un tronçon du corridor Addis Abeba-Djibouti.
Le secteur du bâtiment est encadré par les quatorze standards du code de construction qui détaillent les normes de construction ainsi que les exigences de fonctionnement, de conception et d'installation. Un conseil de construction supervise le secteur et l’application des standards. Peu de bâtiments en Éthiopie sont conçus et construits en adoptant des concepts de construction écologiques. Seuls trois, situés à Addis-Abeba, ont reçu la certification LEED : le siège de Horn of Africa Regional Environment Centre, le projet de nouveau siège social de la Banque Centrale et le bureau du Département d'État des États-Unis.
Le secteur reste dominé par les entreprises locales et chinoises
L’écosystème d’entreprises locales de construction est actif (Midroc, Afro-Tsion, Sunshine), en particulier sur les projets de construction de taille réduite. L’entreprise éthiopienne, Sur Construction, était en 2019/2020 la première entreprise de construction en Ethiopie et le septième acteur privé en termes de contributions fiscales (66 MUSD). Les autorités éthiopiennes ont introduit en juillet 2021 une directive légalisant les co-entreprises entre les contracteurs locaux et les entreprises internationales dans le secteur de la construction, pour favoriser l’intégration des entreprises locales dans les mégaprojets.
Les acteurs internationaux présents dans le secteur de la construction sont majoritairement chinois. Entre 2014 et 2017, les IDE chinois dans le pays ont doublé, atteignant plus de 2 Mds USD de stocks accumulés. L’Éthiopie est également devenue le plus grand bénéficiaire des activités de construction chinoises en Afrique[3]. Parmi les contracteurs principaux, il est possible de citer : China Communications Construction Group (terminal T2 de l’aéroport de Bole), China Civil Engineering Construction Corporation (rail éthio-djiboutien), ainsi que l’indien Larsen & Toubro. L’italien Webuild, qui réalise les activités de génie civil du GERD, était en FY19/20 le 3ème contributeur du secteur privé aux recettes fiscales du pays (134 MUSD – 2 % des recettes totales). Yapi Merkezi (turc) est actif dans la région du Tigré depuis près de 10 ans pour la construction de lignes de chemin de fer, et a construit la ligne Awash-Kombolcha-Hara Gebaya.
Les entreprises françaises sont quasi-absentes de ce secteur, à quelques exceptions près. Saint Gobain s’est établi en Ethiopie en 2015, et a inauguré une usine de production en 2020 à 65 km de la capitale. L’usine assure la fabrication de solutions à base de mortier, de produits chimiques et matériaux pour la construction et la rénovation. Le bureau d’architecte Plan Libre est également implanté dans la capitale et assure la conception et supervision de travaux pour des bâtiments scolaires et résidentiels.
[1] Schaefer, F, and Oya, C. 2019. Employment patterns and conditions in construction and manufacturing in Ethiopia: a comparative analysis of the road building and light manufacturing sectors. IDCEA Research Report, SOAS, University of London.