ÉTHIOPIE
Cadrage général
Éléments structurels de l’économie
Malgré une croissance économique soutenue lors de la dernière décennie, le pays fait face à des difficultés structurelles. Portée par l’investissement public dans les infrastructures et financée par l’endettement externe (chinois en grande partie), la croissance est passée d’une moyenne de 2,5 % durant les années 90 à 9,6 % sur 2010-2019. Fondés sur un modèle d’économie fortement administrée, hérité du régime communiste Derg (1974-1987), les plans quinquennaux ont permis de financer de grands projets d’infrastructures nécessaires (transports, énergie, télécommunications, parcs industriels orientés vers l’export) mais ce modèle n’est plus viable au regard de la faible capacité du pays à faire face à la charge de sa dette externe croissante, et a fortement restreint le développement du secteur privé, aujourd’hui encore embryonnaire.
Les indicateurs sociaux illustrent les progrès à parcourir. Le PIB par tête (1 473 USD en 2023) reste contraint par la forte croissance démographique du pays (2,7 % en moyenne sur 2012-2022). Les récents chocs externes (COVID-19, conflit en Ukraine) et internes (guerre au Tigré, sécheresse) ont contribué au ralentissement de la croissance (6,5 % sur 2020-2023) et à l’augmentation de la pauvreté. Selon la Banque mondiale, le taux de pauvreté (<2,15 USD/j) s’établissait à 34,6 % en 2023, contre 27 % en 2015, et le pays est classé à la 176ème place sur 193 à l’IDH 2022.
Bien que l’agriculture (32 % du PIB, 87 % des exportations, 65 % de l’emploi en 2022) soit le pilier socioéconomique du pays, le pays peine à satisfaire les besoins alimentaires de la population et reste très vulnérable aux évènements naturels. L’exposition aux risques climatiques, combinée au conflits internes (notamment la guerre au Tigré et plus récemment les troubles sécuritaires dans les régions d’Oromia et d’Amhara), porteraient à 19,7 millions le nombre de personnes en insécurité alimentaire dans le pays en 2023, soit 17 % de la population. Le gouvernement entend développer l’industrie manufacturière, intensive en main d’œuvre, par le déploiement de parcs industriels, mais ces activités restent contraintes par les pénuries de devises et la suspension de l’Ethiopie de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) et l’accès préférentiel au marché étatsunien. Enfin, le secteur tertiaire (39 % du PIB) est principalement tiré par la compagnie aérienne nationale Ethiopian Airlines.
Conjoncture économique, finances publiques et dette publique
La croissance de l’économie éthiopienne est estimée à +7,2 % en 2023 selon le Word Economic Outlook d’avril 2024 (révision de +1,1 point de % par rapport au WEO d’octobre), rejoignant les perspectives de croissance estimée par la Banque centrale éthiopienne. La croissance éthiopienne, bien qu’en ralentissement par rapport aux décennies précédentes, se distingue par sa résilience importante (+6,3 % en 2021 ; +6,4 % en 2022) au regard des multiples chocs auxquels a été soumise l’économie (pandémie, guerre en Ukraine, cours des matières premières, resserrement de la Fed, guerre au Tigray, retrait des bailleurs, sécheresses, invasion de criquets).
En 2023, l’inflation moyenne annuelle s’est élevée à 30,2 % selon le FMI, contre 33,9 % en 2022. Une tendance à la baisse qui s’explique principalement par (i) l’apaisement des pressions inflationnistes sur les denrées alimentaires importées et (ii) les mesures de lutte contre l’inflation (restriction de l’accès au crédit, assouplissement en août 2023 des restrictions sur l’accès aux devises pour les exportateurs, réduction du financement monétaire de l’économie). L’inflation connait ainsi un ralentissement - 19,9 % en glissement annuel en juin 2024, selon l’Ethiopian Statistical Service – mais reste élevée en raison de facteurs aussi bien domestiques (perturbations des chaines d’approvisionnement liées aux conflits internes, pertes de récolte) qu’externes (perturbation des chaînes logistiques suite à la crise en mer rouge, prix des matières premières). La dépréciation/dévaluation du change face au USD sur le marché officiel (environ -5,0
% en 2023) comme sur le marché parallèle (-30,0 %) a également contribué à renchérir l’inflation importée. Le premium entre les taux de change officiel et parallèle s’est stabilisé depuis début 2023 autour de 100 % (contre 50 % fin 2022 et 30 % fin 2021). Les autorités éthiopiennes ont procédé, le 29 juillet 2024 à la libéralisation du marché des changes afin de supprimer le marché noir en mettant fin à la surévaluation artificielle du Birr et en facilitant l’accès aux devises. Il s’agissait d’un pré-requis à l’approbation du programme FMI en négociation depuis plusieurs mois.
Le déficit du compte courant s'est réduit à 2,8 % du PIB au cours de l'exercice 2023 (contre 4,3 % en 2022) en raison de la réduction des importations par le biais de restrictions, de la baisse des prix mondiaux des matières premières et de l'augmentation des exportations de services (+45 %) essentiellement liée à Ethiopian Airlines.
Le déficit public se réduit également à 2,5 % du PIB en 2023 (contre 4,2 % du PIB en 2022), en raison notamment d’une baisse des dépenses et des subventions des bailleurs. Parmi les facteurs justifiant cette réduction du déficit, sont aussi identifiés (i) la suspension du service de la dette 23/24 au titre du Common Framework accordée en novembre ; (ii) le défaut volontaire de l’Ethiopie auprès des créanciers privés en décembre 2023. En 2024, ce dernier devrait continuer sur une trajectoire baissière à -2,0 %, soutenu par la consolidation fiscale prévue dans le cadre du programme FMI récemment approuvé. La part des recettes dans le PIB (6,3 % en 2023) devrait en effet s’accroitre dans les prochaines années via l’augmentation de la fiscalité (TVA, droits d’accise) et la révision des exemptions fiscales en vigueur. Concernant les dépenses, les nombreux efforts déjà consentis devraient se poursuivre avec notamment le retrait des subventions non-élémentaires ou mal ciblées, tout en préservant les amortisseurs sociaux.
L’Ethiopie demeure en situation de surendettement. La dette publique et garantie par l'État en pourcentage du PIB est tombée à 40,2 % en juin 2023, contre 49 % l'année précédente. La dette extérieure s’élève à 18,1 % du PIB, en baisse continue depuis 5 ans en raison notamment d’une diminution de la contraction des prêts extérieurs, en particulier non-concessionnels. Face toutefois à la diminution de l’APD et des pressions externes sur ses devises, l’Ethiopie a demandé en 2021 un traitement de sa dette externe dans le cadre du Cadre commun du G20.
L’Ethiopie est soutenue par les institutions financières internationales pour la modernisation et l’ouverture de son économie. La libéralisation du change amorcée le 29 juillet a ouvert la voie à l’approbation d’un important soutien du FMI et de la Banque mondiale : un programme FMI sur 4 ans, d’un montant de 3,4 Md USD ainsi qu’une aide budgétaire (DPO) de la Banque mondiale de 1,5 Md USD. Ces financements doivent soutenir le programme de réforme du gouvernement éthiopien (HomeGrown Economic Reform 2.0), visant entre autres à moderniser la politique monétaire, engager la réforme des entreprises publiques et réformer la politique fiscale. Le processus de restructuration de la dette externe via le Common Framework, rendu possible par l’approbation du programme FMI, devrait par ailleurs libérer un financement complémentaire de 3,5 Md USD pour l’Ethiopie.