L'écosystème des startups

En matière de numérique, l’Estonie n’est plus à présenter. Depuis son indépendance au début des années 1990 et sa présidence du Conseil de l’Union européenne en 2017, le pays s’est forgé une réputation de pionnier en ce qui concerne la numérisation de son administration et de sa gouvernance, marquant la volonté de ses dirigeants d’acquérir un avantage comparatif dans le domaine des nouvelles technologies. Ainsi, l’ensemble des politiques publiques ont contribué à l’émergence d’un écosystème de startups particulièrement dynamique, tirant la croissance économique du pays. Aujourd’hui, on décompte plus de 1000 startups dans le pays, dont certaines sont largement reconnues à l’international. En novembre 2020, le pays voyait l’arrivée d’une cinquième licorne, Pipedrive.

Un environnement favorable au développement des startups

Depuis la fin des années 1990, l’Estonie a misé sur le développement du numérique dans le pays, selon une logique coopérative avec le secteur privé. C’est notamment le secteur public qui pousse ce dernier à l’innovation. La cadre actuel repose sur certains piliers centraux, propres à l’Estonie :

  • La numérisation des services publics depuis le début des années 2000, tels que la création d’entreprises ou encore la déclaration des impôts. L’accès à ces services a été étendu aux étrangers à partir de 2014, via le programme « E-Residency », octroyant le statut de e-residant.
  • Une politique fiscale attractive, basée sur un système simple, avec une absence d’imposition des bénéfices réinvestis dans la société (et un taux de 20% sur les dividendes reversés).
  • Une politique de formation favorisant l’apprentissage des langages informatiques dès le primaire et la création d’incubateurs, à l’image du « Tehnopol », créé en 2003, ou encore du centre de recherche et d’innovation, « Mektory », au sein de l’université technologique TalTech, créé en 2013, point de rencontre entre les scientifiques, les étudiants et les entrepreneurs.

Un écosystème dynamique

Grâce à ce cadre particulièrement incitatif et à la construction de sa réputation, l’Estonie a pu développer un écosystème dynamique. Tallinn est ainsi classée 66ème écosystème de startup au monde selon StartupBlink. Avec près de 1100 startups recensées en 2020, une très grande variété de secteurs sont représentés, particulièrement les Fintechs (Transferwise, Monese), les logiciels d’affaires et de ressources humaines (Pipedrive) ou encore les AdTechs et Creative Tech (Adcash).

Le poids des startups dans l’économie estonienne poursuit sa croissance depuis plusieurs années et tire également la croissance économique du pays[i] : En 2019, le secteur des TIC représentait 7,6% de valeur ajoutée du PIB estonien, et pour le second trimestre 2020, cette part s’élevait à 9,4%. Les TIC est l’un des rares secteurs dans le pays à avoir enregistré une croissance positive depuis le début de la crise. Au second semestre, les startups estoniennes employaient près de 6084 personnes, soit une hausse de 15% par rapport à la même période l’année précédente. Néanmoins, un ralentissement est à noter à cause de la crise sanitaire : en effet, en 2019, la hausse enregistrée était de l’ordre de 44%. Les contributions fiscales des startups estoniennes continuent à augmenter, passant de 20, 8 M EUR au premier semestre 2018 à 35,2 M EUR en 2019, ainsi que 47 M EUR au premier semestre 2020. Le chiffre d’affaires s’élevait à 364,5 M EUR pour le premier semestre 2020, enregistrant une hausse de 40% sur un an. Le pays continue également à attirer les investisseurs, puisque 142,7 M EUR ont été investis au premier semestre 2020, puisque 35 nouveaux deals ont été conclus, dont 12 à plus d’1 M EUR. Bolt est parvenu a levé 100 M EUR et Veriff 14 M EUR.

Plusieurs startups estoniennes ont su s’internationaliser et se tailler une réputation sur la scène mondiale. Le pays compte ainsi cinq licornes (Skype, Playtech, Transferwise, Bolt et la dernière Pipedrive) :

  • Skype, qu’on ne présente plus et qui a été rachetée par Microsoft ;
  • Bolt, fondée en 2013 par Markus Villig, à Tallinn, est spécialisée dans la mobilité partagée et se présente comme le concurrent européen d’Uber et joue de cette image, notamment dans sa stratégie de verdissement de ses activités ;
  • Transferwise, fondée en 2011 par Kristo Käärmann et Taavet Hinrikus, est spécialisée dans le transfert d’argent en peer-to-peer. Son siège social se trouve néanmoins à Londres ;
  • Playtech, fondée à Tartu en 1999 par Teddy Sagi, spécialisée dans les logiciels de jeux en ligne mais aussi dans le commerce financier ;
  • Pipedrive, fondée à Tallinn en 2010 par Timo Rein, Urmas Purde, Ragnar Sass, Martin Henk et Martin Tajur, est spécialisée dans la fourniture de logiciel de gestion de la relation client.

Des défis persistants pour préserver et accroître l’attractivité du pays

Un certain nombre de défis se posent toujours pour l’écosystème estonien : Tout d’abord, le marché local est particulièrement étroit, eu égard aux 1,3 millions d’habitants que compte l’Estonie, et concentré principalement à Tallinn, et dans une moindre mesure à Tartu. Les startups sont donc incitées à penser très rapidement à l’international pour élargir leurs activités, accéder à de nouveaux marchés, capitaux et talents. Le marché du travail estonien est également caractérisé par une pénurie de main d’œuvre et de compétences chronique, et la demande est d’autant plus grande dans le secteur des TIC. Cette situation crée une certaine dépendance du secteur à la main d’œuvre étrangère. Au premier semestre 2020, 26,7% des employés des startups étaient étrangers, dont 19,9% hors UE. Parmi eux, 76,5% avaient fait des études supérieurs, témoignage que la main d’œuvre étrangère qualifiée est un réel besoin dans le pays.

Mais des solutions existent et se multiplient : de manière générale, les pouvoirs publics ont favorisé une politique de formation destinée à attirer les étudiants vers le secteur du numérique. La dernière initiative en date, portée à la fois par les autorités, mais surtout par le milieu entrepreneurial, verra la création d’une école de code à Jõhvi, dans le comté d’Ida-Viru, afin de réduire la demande croissante en développeurs dans le pays. Celle-ci devrait ouvrir ses portes à l’automne 2021, sur le modèle du 01 Edu System[ii].

Pour continuer à attirer la main d’œuvre étrangère, les autorités ont créé en 2017 un « startup visa », permettant à des entrepreneurs originaires de pays hors UE d’obtenir un permis de résidence temporaire ou bien un visa, selon une procédure accélérée. En l’espace de trois ans, près de 500 créateurs ont été accueillis dans le pays et 1350 employés ont bénéficié d’une relocalisation. Les applications à ce programme ont triplé, entrainant de facto une baisse du taux de succès à la procédure.

Plus récemment, en juin 2020, le pays adoptait un « digital nomad visa », complément au programme E-Residency, afin de permettre aux individus de venir dans le pays en tant que touriste, tout en continuant à travailler pour un employeur étranger ou comme freelance. L’enjeu est ainsi de faire la promotion des e-solutions, mais aussi de diversifier la communauté IT, tout en ayant des impacts positifs sur les entreprises locales[iii]. 1800 personnes pourraient bénéficier de ce nouveau programme.

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