DJIBOUTI
Un secteur encore délaissé par la population locale expliquant le manque de valorisation du potentiel de pêche du pays
La population djiboutienne, de tradition pastorale, porte un intérêt limité – mais croissant- aussi bien à l’activité de pêche qu’à la consommation des produits issus de cette dernière. Le secteur halieutique s’en trouve affecté : il se caractérise par une production faible (2 232 T/an en moyenne pour un potentiel en ressources halieutiques estimé à 47 000 T) et souffre d’un manque de financements empêchant la structuration de la filière et le développement de chaînes de valeur en aval de la capture. Le gouvernement mise toutefois sur ses ressources halieutiques nombreuses et sur le développement de l’aquaculture marine, actuellement inexistante, pour diversifier l’économie du pays et générer des exportations.
Une production dominée par la pêche marine
A l’image du secteur primaire, le secteur de la pêche peine à compter au sein de l’économie djiboutienne, dominée par les services, et dans la société djiboutienne de tradition pastorale. La pêche représentait du PIB en 2019 et 0,14% de l'emploi total en 2020.
Les captures sont concentrées sur les eaux maritimes, les seules pourvues de ressources, avec une côte djiboutienne s’étendant sur 314 km2 et une ZEE évaluée à 7037 km2. Plus précisément, les eaux du golfe de Tadjourah sont riches en ressources halieutiques car elles se situent sur la route de migration et de ponte de nombreuses espèces. Au centre du golfe, le Goubet offre un lieu privilégié de pêche. Les mangroves de la côte nord font, elles, partie des espaces les plus riches de la Corne de l’Afrique, et de l’Afrique de l’Est. Quant au sud, la zone frontalière de Loyada, à cheval sur Djibouti et le Somaliland, est un espace important de pêche, réputé chez les pêcheurs de Djibouti-ville.
La production halieutique nationale est en moyenne de 2232 T par an (moyenne 2018-2020), et se compose majoritairement de poissons pélagiques (1113 T/an en 2020) et démersaux (670 T/an). Plus précisément, en 2021 selon la Banque Centrale de Djibouti, le thon mignon est l’espèce la plus pêchée dans les eaux djiboutiennes avec une part s’élevant à 15,67%, suivie du sauteur talang (8,89%) et de la carangue lentigine (6,94%). Le thazard, apprécié des Djiboutiens, représente 6,23% des espèces pêchées. Malgré une production en hausse (+46% entre 2010 et 2020), l’objectif de 10 000 T de produits de pêche fixé pour 2020 par le document de stratégie de long terme "Vision Djibouti 2035" de 2013, avec une estimation des ressources halieutiques à 47 000 T[1], est loin d'être atteint.
S’agissant de l’aquaculture marine, la FAO ne recense aucune production malgré des initiatives pour développer la pénéiculture et la culture d’algues rouges près des îles Moucha.
En synthèse, la production et les potentialités du secteur de la pêche à Djibouti se concentrent sur les eaux maritimes ; la salinité des lacs djiboutiens ne permettant ni la capture faute de ressources ni le développement d’initiatives d’aquaculture d’eau douce. L’aquaculture marine, encore inexistante, pourrait servir d’outil pour relancer la production halieutique du pays, en hausse mais toujours fortement en deçà du potentiel djiboutien déclaré.
Consommation et dépendance aux importations
Les Djiboutiens consomment en moyenne 3,9 kg/pers/an de poissons, un niveau plutôt bas comparé à la moyenne de 10 kg en Afrique et 20 kg dans le monde. La demande domestique est urbaine, issue des restaurants et des bases militaires sur le territoire. La population locale, de tradition pastorale pour la majorité (Afars et Somalis), n’a pas intégré de manière significative les produits de la mer à son alimentation et continue de privilégier la viande, pourtant plus chère à certaines périodes de l’année. On constate cependant une évolution des habitudes alimentaires qui pourrait profiter au secteur de la pêche : l’influence yéménite introduite à Djibouti a popularisé dans les centres de consommation urbains certains plats comme le poisson à la yéménite, alors dégustés dans des petites échoppes par la population locale.
Djibouti est de loin un importateur net de poisson et de produits de la pêche. Avec le niveau de consommation actuel, Djibouti est dépendant à 46% des importations de poissons, mollusques et crustacés. Le pays est autosuffisant en poissons démersaux mais reste dépendant des importations de mollusques, céphalopodes, crustacés et poissons pélagiques. La France était, selon les derniers chiffres de l’UN COMTRADE (2009), le principal fournisseur de Djibouti pour les produits de filets de poissons et chair de poissons, les poissons frais, les mollusques et les crustacés.
Les exportations djiboutiennes sont très faibles (0,8% de sa production) et sporadiques. Le pays avait développé une activité d’exportation vers la Réunion mais ce débouché a été abandonné en 1998 en raison de l'application de la réglementation communautaire[2] empêchant les importations de poissons en provenance de Djibouti. En outre, un volume notable de flux n’est pas intégré aux chiffres officiels, ces derniers étant issus de pratiques de pêche informelle et illicite. En effet, plusieurs centaines de tonnes de poissons par an seraient capturés dans les eaux djiboutiennes par des pêcheurs djiboutiens et yéménites[3] et débarqués au Yémen de manière illégale (les prix de vente des produits halieutiques étant plus avantageux sur le marché yéménite).
Structuration des filières et principaux enjeux
Une filière peu optimisée et insuffisamment financée, un déficit d’infrastructures de réception et de réfrigération ainsi que d’installation de transformation empêchent une réelle valorisation du potentiel de pêche artisanale, la seule autorisée, à Djibouti. La majorité du poisson frais, débarqué en vrac, est commercialisé directement à quai, entier sans aucune forme de valorisation ou de transformation, avec peu ou pas de la glace pour assurer sa conservation, ce qui génère des pertes élevées. Le prix de l’électricité à Djibouti est une des contraintes structurelles expliquant l’atrophie du secteur de la transformation. Pour permettre le développement de ce dernier, deux unités de traitement du poisson situés dans le port de pêche de Djibouti (capacité de traitement de 7 T/jour) ont été construites par le gouvernement dans le but de réguler l’approvisionnement du poisson pour le marché local et pour l’exportation, toutefois plusieurs rapports font état d’équipements dégradés. Un investissement américain ayant permis la construction d’une unité de transformation, Djibah SEAFOOD, à la frontière entre Djibouti et le Somaliland est également à signaler. L’absence d’un système de crédit approprié aussi bien pour l’achat d’intrants de pêche (sous-équipement des pêcheurs) que la réparation et la maintenance des embarcations pénalise également la filière. Le recours au secteur bancaire local reste limité par un manque de confiance et une perception élevée du risque du secteur. Le micro-crédit, solution promue par le gouvernement pour le secteur, serait assez impopulaire parmi les pêcheurs car jugé insuffisamment attractif.
Le paradoxe d’une production faible entrainant néanmoins la surexploitation de certaines ressources. Le seuil d’exploitation durable, défini par les Nations Unies, à Djibouti, serait de 48 000 tonnes par an, un volume bien loin d’être atteint par la production nationale. Toutefois, l’hétérogénéité des ressources à Djibouti fait peser un risque de surexploitation sur certaines espèces à savoir les poissons démersaux nobles, rares mais souvent ciblés par les captures. Bien qu’aucune étude scientifique n’ait établi le risque de surexploitation, la diminution du nombre de poissons serait ressentie par les pêcheurs.
Politiques publiques, projets et dynamique actuelle
Le code des pêches de 2022 est l’instrument juridique régissant le développement et le contrôle du secteur national de la pêche. Ce dernier repose sur trois piliers à savoir : (i) l’interdiction de la pêche dans les eaux djiboutiennes aux navires étrangers ; (ii) l’interdiction de la pêche industrielle ; (iii) l’interdiction du chalutage sauf à titre scientifique. Le choix d’une pêche exclusivement artisanale[4] est justifié par la dimension sociale (profitant directement à la population côtière) et environnementale de cette dernière. Un travail de révision et de modernisation du Code des pêches de son décret d'application a été finalisé en 2017 dans le cadre du Programme d'Appui à la Réduction de la Vulnérabilité dans les Zones de Pêches Côtières (PRAREV) financé par le FIDA. Les documents révisés seraient en attente de publication. Ce nouveau Code des pêches devrait permettre au pays de se doter d’outils juridiques contraignants pour répondre aux défis de gestion durable des ressources halieutiques et de conservation des écosystèmes marins ainsi que de lutte contre la pêche illicite.
Le document de stratégie de long terme "Vision Djibouti 2035" de 2013 fait de la pêche un secteur prioritaire pour la diversification économique du pays. La stratégie mise sur les opportunités d'exportation, notamment vers l'Éthiopie, l'Europe, et les pays du Golfe, mais affirme la volonté du pays de conserver le modèle d'une pêche exclusivement artisanale. Ce modèle reposerait sur trois axes. Le premier axe consiste à intensifier l'exploitation de la totalité du plateau continental djiboutien, avec l'encouragement de l'acquisition de nouvelles embarcations à plus grand rayon d'action. Le deuxième axe vise à exploiter les ressources en petits pélagiques (poissons à cycle de vie court : anchois, chinchard, maquereau etc.). Enfin, le troisième axe consiste en l'expérimentation de nouvelles pêcheries, en particulier les mollusques et les crustacés à travers la promotion de l'aquaculture marine. Un cadre stratégique pour le développement de l’aquaculture serait également en préparation.
Dans la pratique, le gouvernement semble prioriser l’amélioration des infrastructures des différents ports de débarquement. Il a notamment bénéficié d’un financement du FIDA pour l'amélioration des infrastructures de pêche à travers la création des nouvelles pêcheries dotées d’équipements de froid (chambres froides, machines à glace) à Obock et Tadjourah.
Janvier 2023.
[1] Stratégie "Vision Djibouti 2035", 2013
[2] Djibouti n'est pas certifié pour exporter du poisson vers les marchés de l'UE.
[3] Aucun accord bilatéral ne régit les relations entre Djibouti et le Yémen en matière de pêche. Cependant, le Yémen et Djibouti siègent ensemble à la PERSGA (l'Organisation régionale pour la conservation de l'environnement de la mer Rouge et du golfe d'Aden) et au Centre sous-régional de lutte contre la pollution marine du Golfe d'Aden.
[4] Le Code des pêches définit également la pêche artisanale comme étant une pêche commerciale pratiquée à pied ou à bord d'embarcations dépourvues d'infrastructures de froid.