DJIBOUTI
Un modèle de zones franches destiné à tirer le meilleur du lien de dépendance éthio-djiboutien
Convaincu de la filiation entre le modèle de développement singapourien et les potentialités du pays, le gouvernement djiboutien a intégré les zones franches dans sa politique industrielle tournée vers l’exportation. Malgré un modèle de zones franches attractif pour les investisseurs étrangers, Djibouti peine à faire exister ces plateformes au-delà de l’activité de réexportation vers l’Ethiopie, et ne tire que peu de valeur ajoutée de ce commerce de transit. Le tissu industriel local demeure très restreint.
Les zones franches djiboutiennes, principal outil de la politique industrielle du pays
Initialement développées en soutien à l’émergence du hub portuaire et logistique, les zones franches (ZF) djiboutiennes se sont vu attribuer une fonction de promotion industrielle dans le cadre de la stratégie nationale pluriannuelle « Vision 2035 » visant la diversification de l’économie djiboutienne.
Djibouti compte deux zones franches existantes et une troisième en cours de construction intégrée au projet industriel de Damerjog. La Zone Franche de Djibouti (DFZ), première du pays, a été créée en 2004 sur co-financement privé et public djiboutiens. Sa gestion a, dans un premier temps, été assurée par la Jebel Ali Free Zone Autority (JAFZA), expliquant la fonction avant tout commerciale de la DFZ, en filiation avec le modèle de zones franches dubaïotes. Djibouti a également entrepris, avec le soutien de la Chine[1], le développement phasé de la Djibouti International Free Trade Zone (DIFTZ) pensée pour être la plus grande zone franche d’Afrique. La première phase, une zone pilote de 240 hectares (sur les 4800 prévus), est opérationnelle depuis 2018. Ces deux zones sont en théorie destinées à promouvoir la compétitivité des ports de Djibouti en offrant une série de services connexes allant de l'entreposage à la logistique d’une part, et à capter une plus grande partie de la valeur ajoutée du commerce transitant par Djibouti en favorisant l’assemblage domestique des biens importés transitant par les zones. On dénombre 180 entreprises de plus de 30 pays opérant dans ces deux zones franches[2].
Le volume d'activité à l'intérieur des zones est difficile à mesurer, de même que la contribution des zones à la diversification de l'économie. Les zones sont utilisées en grande partie[3] pour le stockage de marchandises en transit vers l’Ethiopie dans une logique parfois spéculative (certaines marchandises destinées à la réexportation sont conservées dans des entrepôts des zones pendant plusieurs années, dans l'attente d'une augmentation des prix sur le marché éthiopien). Leur développement répond aussi au besoin de souplesse lié à l’évolution du marché éthiopien, dont les importations reposent sur un découpage de plus en plus fin des commandes au gré du rapetissement des lettres de crédit et du rationnement des devises. Les zones franches permettent de réaliser rapidement des expéditions plus modestes que les envois par bateau. Certaines entreprises d’emballage et d’assemblage de produits importés sont présentes dans les zones franches mais cette activité est limitée et Djibouti ne tire qu'une faible valeur ajoutée du commerce de transit.
Le gouvernement djiboutien mise principalement sur la future zone industrielle de Damerjog[4] (Damerjog Industrial Development) pour le développement de capacités industrielles du pays. Le projet comprendrait notamment des activités de raffinage (raffinerie d’une capacité totale de 2,5 Mt déjà partiellement construite), et de réparation et maintenance navale (chantier naval inauguré en août 2023). Cette zone offrira les mêmes avantages que les zones franches.
Un régime d’incitations déployé à contrecourant de la réalité des entreprises en local
Les zones franches, qui dépendent de l’Autorité des Ports et des Zones Franches (APZF), offrent un régime d’incitations attrayant pour les entreprises, notamment une participation étrangère autorisée à 100 %, le libre rapatriement du capital et des bénéfices ainsi que l'exonération totale des impôts directs et indirects sur une période de 50 ans[5]. Les importations dans les zones franches sont également exonérées de TVA et de droits de douane, et peuvent être réexportées en franchise de droits. A cela s’ajoutent des avantages administratifs avec une procédure d'enregistrement simplifiée, une assistance pour l'obtention de permis de travail et de visas à destination des entreprises souhaitant s’implanter dans les ZFs.
La dépense fiscale issue des allègements fiscaux accordés aux entreprises (en particulier dans le cadre des zones franches) était estimée à 11,6% du PIB en 2021 (FMI). Ces allègements instaurent un régime fiscal dualiste pénalisant les entreprises, en premier lieu les PME opérant sous le régime de droit commun et sur lesquelles la charge fiscale repose en grande partie. La fiscalité compterait parmi les principaux obstacles pour faire des affaires à Djibouti (FMI 2019), ce qui explique notamment le niveau élevé d’informalité (60% du secteur privé total) caractérisant l’économie djiboutienne.
Un tissu industriel local embryonnaire peu alimenté par les zones franches
Djibouti a attiré d’importants flux nets d’IDE sur les deux dernières décennies, à hauteur de 2,3 Mds USD entre 2000 et 2020[6], imputables au développement du port et des infrastructures connexes, dont les ZFs. Les investissements liés au ZFs ont avant tout profité à la valorisation du hub logistique djiboutien, sans effet encore tangible sur l’économie domestique et la création d’emploi formel.
Les ZFs djiboutiennes n’ont pas permis le développement du secteur industriel. La part de l’industrie dans le PIB (production d’électricité, eau, et secteur de la construction inclus) a faiblement augmenté, passant de 11% en 2013 à 16% en 2021. La contribution des activités manufacturières au PIB est encore plus faible puisqu’elle s’établie à 4% en 2021. L’emploi dans le secteur est lui aussi limité : en 2019, il représentait 8,5% de l’emploi formel total (OMC, EPC 2022).
Les activités de production (nationales et étrangères) s'exercent dans les domaines suivants : mobilier, consommables bureautiques, matériaux de constructions (pierres taillées, marbres synthétiques, tuile, peinture, brique, ciment, tôles galvanisées et en aluminiums, clous, isolants), sacs plastiques et autres accessoires, pavés, lait et conserves de poisson et de crabe bleu, boissons gazeuses, production d'eau purifiée et production de sel. Le secteur manufacturier reste au stade embryonnaire et est confronté à une myriade de défis empêchant son développement, notamment (i) le manque d’échelle lorsqu’il s’agit de cibler le marché intérieur, (ii) la pénurie de main-d’œuvre qualifiée (iii) et le coût élevé des facteurs de production en local dont surtout l’électricité[7].
Si le gouvernement espérait tirer parti des ZFs pour ajouter de la valeur aux marchandises actuellement réexportées vers l’Ethiopie (par le biais de la transformation, de l’assemblage, du conditionnement), la base exportatrice djiboutienne (hors réexportations pures qui représentent environ 92 % des marchandises exportées) demeure très limitée avec quelques exportations résiduelles de sel et de bétail.
[1] Les entreprises chinoises China Merchants Group et Dalian Ports Authority ont été impliquées dans le développement et l’opération de la phase 1.
[2] US Department of State, 2023 Investment Climate Statements: Djibouti
[3] Environ 99% des activités en zones franches portent sur de la prestation de services selon l’OMC (EPC 2022)
[4] La zone sera mise en place sur financement étatique assorti d’un prêt non concessionnel de l’Afreximbank et de la BCIMR à hauteur de 155 MUSD.
[5] Notons l’effort du gouvernement réduction de la dépense fiscale dans un contexte de tension budgétaire post-covid avec l’introduction dans le budget 2022 d’un prélèvement exceptionnel sur les entreprises opérant dans les zones franches, égal à 1 % du chiffre d'affaires ou à 10 % des bénéfices nets, selon le montant le plus élevé. Hors zones franches, l’impôts sur les bénéfices professionnels s’élève à 25 % des bénéfices nets ou 1 % du chiffre d’affaires selon le montant plus élevé.
[6] Banque mondiale, Memorandum économique pays, 2024
[7] D’après un rapport de la SFI de février 2022, l’accès à une énergie fiable et abordable représente 25 % des dépenses en OPEX des entreprises opérant à Djibouti.