DJIBOUTI
Le système éducatif djiboutien : la portée limitée des progrès de l’instruction sur l’insertion professionnelle à Djibouti
La couverture scolaire a progressé à Djibouti au cours des deux dernières décennies sous l’impulsion de réformes clés (gratuité et caractère obligatoire de l’enseignement fondamental) introduites au début des années 2000. Néanmoins, des disparités géographiques, de genre ainsi que des problématiques d’accès à l’éducation pour les réfugiés se maintiennent et les compétences acquises au cours du parcours scolaires ne semblent ni traiter ni anticiper pleinement les besoins du marché de l’emploi. Le soutien des bailleurs reste central pour se saisir des problématiques éducatives, pour un gouvernement disposant de marges de manœuvre budgétaires de plus en plus contraintes.
Généralisation de l’enseignement de base malgré des disparités géographiques et de genre persistantes
Le système éducatif djiboutien est majoritairement public et se caractérise par une forte (toutefois atténuée) parenté au système français, le français restant la langue d’enseignement pour les établissements publics. Le parcours éducatif suit le schéma français « 5+4+3 » avec 5 années d'enseignement primaire débutant à 6 ans, 4 années d'enseignement secondaire dit « moyen » et 3 années d'enseignement secondaire constitué de deux filières à savoir la filière générale et la filière technique et professionnelle.
La réforme du système éducatif amorcée en 1999 lors du premier mandat du président Ismail Omar Guelleh a permis une progression notable de l’accès à l’éducation de base dans le pays, grâce notamment à la consécration législative du caractère obligatoire et de la gratuité du cycle primaire et moyen (loi d’orientation du système éducatif djiboutien de 2000). L’enseignement préscolaire existe mais n’est pas obligatoire et donc peu répandu.
Le taux brut de scolarisation (TBS) au primaire a nettement progressé au cours des deux dernières décennies, passant de 38,1 % en 2002 à 64,4 % en 2022, un rythme d’accroissement supérieur à la période vicennale précédente (TBS de 32 % en 1982, soit un écart de 6,1 pp par rapport à 2002). S’il a connu une progression plus importante, le taux de couverture de l’enseignement secondaire est historiquement plus bas (45 % en 2022), indiquant une transition limitée des élèves entre ces niveaux, voire des phénomènes d’abandon précoce avant l’achèvement du cycle primaire touchant d’abord les filles[1].
Les disparités d’accès entre les filles et les garçons persistent, avec des TBS au primaire de 52,4 % et 59,9 % respectivement, et de 37,3 % et 44,5 % pour le secondaire. Les différences entre la capitale et les zones enclavées rurales sont par ailleurs importantes puisque corrélées au taux d’extrême pauvreté, trois fois plus important en région que dans la capitale ; ces populations souvent plus traditionnelles et plus pauvres, manifesteraient à la fois un moindre intérêt général pour l’école et un besoin plus fréquent de la contribution des enfants au sein de l’économie familiale.
L’efficacité externe du système éducatif djiboutien mise à mal par l’articulation difficile des structures éducatives et professionnelles
Le taux d’activité (actifs/population en âge de travailler) est structurellement faible à Djibouti avec seulement 45 %[2] de la population âgée de 15 ans et plus participant au marché du travail. Plusieurs raisons expliquent cette faible participation : (i) la qualification insuffisante et inadaptée de la main d’œuvre djiboutienne amplifiée par le faible lien entre le système éducatif et les secteurs productifs de l’économie ; (ii) un manque d’opportunités d’emploi inhérent au marché du travail djiboutien, caractérisé par un secteur privé formel atrophié (10 % de la population active), un secteur public survalorisé captant la majorité des travailleurs qualifiés (43 % de la population active et 70 % des travailleurs ayant a minima un niveau d’étude secondaire) et un secteur privé informel important (47 % de la population active) qui rend difficile la prévision des compétences nécessaires pour soutenir l’activité économique du pays.
La formation technique et professionnelle souffre, au niveau secondaire, d’un manque de considération par les élèves qui voient cette orientation comme un choix par défaut[3]. Les formations post-secondaires, assurées par 14 établissements, n’incluent que peu le secteur privé (un seul partenariat public-privé est établi pour un établissement de formation professionnelle) limitant les perspectives d’insertion professionnelle des diplômés : au terme de 18 mois après la fin de leur cursus, le taux d'insertion des diplômés de l'enseignement technique et formation professionnelle (ETFP) est de 14,6 %[4].
La filière universitaire se résume, elle, à l’Université de Djibouti créée en 2006 et qui accueille actuellement 11 000 étudiants en licence, master ou doctorat. Parallèlement, les Djiboutiens étudient de plus en plus à l’étranger, bien qu’ils représentent une part marginale de la population étudiante. Ils étaient 2 947 inscrits à l’étranger en 2021 (estimations)[5], dont 41 % étudiaient en Europe Centrale et Orientale (en premier lieu la Turquie), 26 % en Amérique du Nord et Europe Occidentale (France et, dans une moindre mesure, Canada) et 25 % dans les pays arabes (Maroc, Tunisie, Arabie Saoudite). En perte de vitesse (-30% d’effectif sur 5 ans), la France compte parmi les principaux pays d’accueil pour la mobilité internationale ; le deuxième (819 djiboutiens étudiaient en France en 2021/2022) après la Turquie.
Un soutien clé des bailleurs aux objectifs gouvernementaux de développement pour l’éducation
Les dépenses d’éducation ont oscillé autour de 5 % du PIB sur la période 2012-2018 (dernières données publiques) et autour de 22 % à l’échelle des dépenses courantes de l’Etat sur la même période. Les tensions de trésorerie induites par un service de la dette qui a plus que triplé en 2022 mettent à mal le maintien de ces proportions[6]. En 2010, le gouvernement djiboutien a mis en place un plan décennal pour l’éducation complété par un plan triennal (2017-2020) qui porte les objectifs d’accès à l’éducation et d’amélioration générale de la qualité des enseignants et des établissements scolaires.
L’éducation est un secteur d’intervention majeur pour les bailleurs, multilatéraux comme bilatéraux (BM, USAID, UE, AFD), qui visent, dans leur action, la réduction des disparités régionales (UNICEF), de genre (projet AFD de 8 MEUR en coordination avec l’UNICEF visant l’amélioration de l’accès à l’éducation et des perspectives de professionnalisation des femmes les plus vulnérables, en particulier dans les zones rurales) en matière d’éducation, la valorisation de l’ETFP (programme BM de 15 MUSD et programme UE de 4 MEUR) ainsi que l’amélioration de la scolarisation des réfugiés (BM, UNHCR, UNICEF) qui représentent entre 2,3 et 3,4 % de la population résidant à Djibouti. L’AFD a également mobilisé des financements pour renforcer la formation professionnelle au travers de la création d’un Centre de Formation aux Métiers portuaires, du transport et de la logistique (10 MEUR sur Délégation du Fonds Fiduciaire d’Urgence de l'UE, 900 k€ de cofinancement de l’AFD et autofinancement de la Chambre de Commerce de Djibouti).
Janvier 2024.
[1] Selon la Banque mondiale, seules 38 % des femmes déclarent avoir terminé au moins l'enseignement primaire, contre environ 57 % chez les hommes.
[2] Ce ratio est resté inchangé au cours des 25 dernières années et ce malgré deux décennies de croissance (Banque mondiale, 2019).
[3] Source : Union Européenne, 2023
[4] Analyse du Système Éducatif de Djibouti. Évaluer les progrès réalisés et les difficultés rencontrées pour définir de nouvelles avancées, RESEN 2020.
[5] Dernière donnée UNESCO disponible
[6] Source : FMI, Article IV, 2023