Indicateurs et conjoncture

1. Situation macroéconomique

La révision comptable du PIB par la Banque mondiale et le FMI, a conduit à sa réévaluation à la hausse d’environ 38 % en 2018. Il a atteint à 3,0 Mds USD en 2018, soit 2 872 USD par habitant. Cette révision intègre les activités portuaires et des zones franches (ZF), auparavant non comptabilisées. La valeur ajoutée générée par les ZF représenterait en 2018 environ 20 % du PIB. L’effet sur les statistiques nationales est significatif, notamment sur les exports : pour 2017, le déficit courant serait donc de 3,6 % du PIB contre 20,9 % selon les estimations précédentes, tandis que les recettes publiques se réduiraient mécaniquement à 23,6 % du PIB contre 30,8 %. Cependant le FMI note que la fiabilité des données sur les ZF reste largement perfectible, et signale une potentielle surestimation de l’excédent courant.

Djibouti, a enregistré des progrès sociaux faibles voire inexistants au cours des dernières années. La croissance a accéléré de 3,2 % pour la décennie 2000 à 6,2 % pour la décennie actuelle, mais se révèle peu inclusive. Si Djibouti affiche un PIB par habitant en 2020 de 3 074 USD, la pauvreté extrême concerne encore 21,1 % de la population, et le pays est classé 171ème sur 188 pour l’IDH en 2019

L’économie djiboutienne est très faiblement diversifiée, les services – en particulier les activités portuaires tirées par la demande éthiopienne – comptant pour environ 75 % du PIB. En 2018, selon la Banque centrale de Djibouti (BCD), l’agriculture représentait 3,5 % du PIB, l’industrie un peu plus de 20 % et les services environ 75 %. De nombreux facteurs entravent le développement du secteur agricole, au premier rang desquels l’exiguïté et l’aridité du territoire. L’industrie est dominée par deux sous-secteurs : la construction et travaux publics (12,2 % du PIB) et la production d’eau et d’électricité (4,7 %). L’industrie manufacturière reste embryonnaire (<2,5 %, constante depuis 2010). Enfin, le secteur des transports et des communications représente à lui-seul 30 % du PIB. Les activités portuaires dominent en effet : le pays compte plusieurs ports, avec plus de 2,2 M de TEU[1] traitées par an ce qui en fait le premier port de la région en termes de capacité et le second en termes de volumes traités, derrière Mombasa[2]. Le tourisme et le commerce représentent le deuxième poste des services (17 % du PIB), suivi par le secteur des banques et assurances (13 %). Selon la BCD, ces activités restent très liées à celle des transports si bien que l’activité portuaire constitue le principal moteur de l’économie.

La position stratégique du pays et le contexte géopolitique constituent une rente pour Djibouti, disposant d’un quasi-monopole sur les échanges maritimes de son voisin éthiopien. Suite au conflit avec l’Érythrée (1998–2000), l’Éthiopie a perdu, son principal accès à la mer Rouge. En 2017, environ 95 % du fret éthiopien a transité par Djibouti contre 15 % en 2000, alimentant à plus de 85 % le volume d’activité des ports djiboutiens (le reste correspondant aux activités de transbordement).

En 2020, l’économie devrait entrer en récession à -1,0 % du PIB, soit une révision de -7 points par rapport aux estimations pré-COVID. Avant la crise, la croissance était passée de 6,6% en moyenne entre 2015 et 2017 à 8,4 % et 7,5% du PIB en 2018 et 2019 respectivement. La mise en service d’infrastructures majeures, dont les nouveaux ports et, dans une moindre mesure le chemin de fer Addis–Djibouti, et l’aqueduc et le rebond de la croissance éthiopienne après 2017 expliquaient cette performance. La pandémie a induit une baisse conjointe de la demande mondiale de services de transbordement et des activités de réexportation des entreprises de la zone franche vers et depuis l’Éthiopie. Cette récession devrait être de courte durée, le FMI table sur un rebond dès 2021 avec une croissance à 7 % qui devrait se maintenir à ce niveau à moyen terme. Cette reprise serait impulsée par un rebond en Ethiopie et la reprise des exportations en zone franche et aux exportations de services de transport, logistique et de télécommunication. Selon la Banque mondiale, les projets d’infrastructure en cours, notamment le parc éolien, le parc industriel dédié aux hydrocarbures de Damerjog et le projet « chaîne du froid » devraient également stimuler la croissance.

2. Finances publiques

La consolidation fiscale est à l’œuvre : de 15,4 % du PIB en 2015, le déficit est passé à 2,8 et 0,8 % du PIB en 2018 et 2019. Elle s’explique par une coupe dans les dépenses de capital supérieure à l’érosion des recettes. Ces dépenses ont diminué de 25,5 % du PIB en 2015 à 7,1 % en 2019. Pour 2020, le déficit devrait atteindre 4,5 % du PIB[3], auquel s’ajoute l’apurement d’arriérés publics à hauteur de 1,2 % du PIB, portant le besoin de financement de l’État à 5,7 % du PIB contre une estimation initiale de 3,0 %. L’impact de la Covid-19 sur les finances publiques serait de 2,7 % du PIB et s’explique par une sous-collecte fiscale de l’ordre de 10 %, portant les recettes totales (dons inclus) à 18,6 % du PIB, et une augmentation de 8,5 % des dépenses publiques, à 23,1 % du PIB. La réponse budgétaire des autorités, d’un montant de 82 MUSD (2,4 % du PIB) inclut : (i) le renforcement du système de santé (0,8 %), le soutien aux PME (0,6 %), (iii) le soutien aux ménages (0,7 %) et (iv) la sécurité alimentaire et le renforcement des capacités statistiques relatives à l’insécurité alimentaire (0,4 %). Pour répondre aux besoins de financement additionnel liés au Covid19, Djibouti a bénéficié d’une Facilité de Crédit Rapide de 45 MUSD début mai 2020 déboursée sous forme d'aide budgétaire directe, et la BAD a octroyé un appui budgétaire de 41,2 MUSD en juillet. A moyen-terme, le déficit devrait se creuser pour atteindre 2,5 % en 2023 du fait de la baisse des recettes non-fiscale et des dons, ainsi que la stagnation des recettes fiscales.

Le Fonds considère que Djibouti demeure en risque élevé de non-soutenabilité de sa dette publique. La dette publique, quasiment exclusivement externe, a progressé de 34 % à 71% du PIB entre 2013 et 2017 avant de diminuer à 66 % en 2019. Le creusement du déficit porterait son niveau à 73 % du PIB en 2020. Djibouti dépasserait désormais largement le plafond d’endettement fixé à 40 % du PIB en VA (54 % en 2020), et ce jusqu’à 2026 au moins selon le scénario de référence. L’indicateur service de la dette/recettes publiques dépasserait aussi sa limite de 18 %, hormis en 2021, jusqu’en 2030 (20 % en 2020). Les stress tests révèlent l’exposition du pays à une matérialisation des passifs éventuels des entreprises publiques, ou à une dépréciation. Fin 2018, la Chine détenait 74 % de la dette publique de Djibouti avec un encours de 1509 MUSD (soit 52 % du PIB). Depuis 2013, les entreprises publiques se sont ainsi engagées auprès d’EXIM Bank of China pour 1,2 Md USD. Les entreprises publiques représentent plus de 70 % de la dette publique, contre 30 % en 2013. La restructuration du prêt du chemin de fer (16 % du PIB) avait permis de réduire la VAN de la dette de quatre points de PIB. Le FADES est le second créancier du pays avec 183 MUSD, devant la Banque Mondiale et la BAD, à 149 et 107 MUSD respectivement. L’encours de la France était estimé à 34 MEUR à fin 2019. En réponse à la crise, le pays a bénéficié d’un report de paiement des intérêts de la dette de 25  MUSD dans le cadre de la DSSI du G20/Club de Paris, ainsi que d’une annulation du service de la dette envers le FMI dans le cadre du CCRT (2,3 MUSD de mai à octobre 2020, sur la durée maximum de 24 mois le total serait porté à 8,2 MUSD.

3.  Situation extérieure

En 2018, l’actualisation des données du commerce extérieur a permis au compte courant,  structurellement déficitaire de passer à l’équilibre. La prise en compte des activités de transbordement permet désormais à Djibouti d’afficher un excédent courant de 18,0 % du PIB en 2018 contre 0,8 % hors activités de transbordement. La pandémie a fortement impacté le compte courant qui passe d’une position excédentaire de 26,3 % en 2019 à un déficit de 3,6 % en 2020, qui s’explique par la désorganisation des chaînes logistiques et le ralentissement de la demande. En particulier, cette amplitude est liée à l’activité des ports et des zones franches : en 2019, le transbordement représentait deux fois le PIB et deux-tiers des échanges de biens et services de Djibouti avec le reste du monde. En 2020, les IDE ont diminué de 40 %  passant de  5,6 % en 2019 à 3,8 % du PIB en 2020 mais devraient s’inscrire aux alentours des 6,5 % du PIB à moyen-terme.

Le système monétaire djiboutien, qui s’apparente à une caisse d’émission[4] (régime de change fixe et parité par rapport au dollar américain), n’a pas subi de pressions fortes et le franc djiboutien reste stable. Les exportations djiboutiennes, dont une part significative correspond à des réexportations, sont faiblement élastiques à l’évolution du change. Pour finir, les émissions de monnaie fiduciaire sont couvertes à 107 % par les réserves en devises spécifiquement provisionnées à cet effet.

Les réserves en devises devraient passer de 3,6 mois d’importation (en excluant les réexportations) à fin 2019 à 3,1 mois en 2020 et devrait stagner à 3,2 mois à moyen-terme.

4.  Secteur bancaire et environnement des affaires

En dépit d’une consolidation progressive des passifs bancaires, le crédit au secteur privé et l’inclusion financière restent faibles. Le taux de prêts non performants (PNP) qui était de 15,3 % en 2013 et avait atteint un pic à 22,3 % en 2016 suite à la faillite de deux compagnies pétrolières, reste élevé à 16,3 % à fin 2019. Toutefois, le ratio des capitaux propres aux actifs pondérés par les risques a progressé passant de 13,5 % à 15,7 % et se maintient au-dessus du seuil réglementaire de 12 %. Conséquence de la pandémie, le crédit au secteur privé est à l’arrêt, passant  de +9,5 % en 2019 à -1 % en 2020 mais devrait connaître un rebond à 18,0 % dès 2021. A Djibouti, l’inclusion financière reste embryonnaire, avec seulement un quart de la population adulte disposant d’un compte bancaire. Pour finir, si le retrait de plusieurs banques de correspondances au cours des dernières années a pu être compensé par de nouvelles relations, le Fonds note une augmentation des coûts de transactions.

Une amélioration en trompe l’œil au classement Doing Business. Djibouti occupe en 2020, la 112ème place sur 190 pays, soit une régression de 13 places par rapport à 2019, alors qu’il était encore classé 171ème en 2017. Les interlocuteurs rencontrés lors d’une mission fin 2018, font le constat opposé d’une forte dégradation du climat des affaires, induit à la fois par l’accumulation des impayés auprès des fournisseurs de l’État et des entreprises publiques, ainsi que par des arbitrages économiques qui seraient dictés par les intérêts de l’entourage du président. Ces derniers créent un climat peu favorable aux IDE et freinent le développement du secteur privé.

5. Contexte géopolitique et gouvernance

Au pouvoir depuis vingt ans, Ismaël Omar Guelleh (IOG) a entamé son quatrième mandat consécutif en 2016. IOG a accédé au pouvoir en 1999 et fait modifier la constitution en 2010 pour supprimer la limitation du nombre de mandats présidentiels. En avril 2016, il a été réélu par 87 % des suffrages exprimés à l’occasion d’un scrutin boycotté par une partie de l’opposition. En 2018, le parti au pouvoir (Union pour la majorité présidentielle) remporte de nouveau les législatives, avec 57 sièges sur 65 (78 % des voix). Les opposition au régime se heurtent régulièrement à l'appareil sécuritaire. De nouvelles élections présidentielles sont prévues en mars 2021.

L’imbrication entre l’État, le parti au pouvoir et les activités économiques s’organise autour des logiques familiale. La vie politique djiboutienne apparaît fortement marquée par le tribalisme, traduction politique des solidarités claniques. En 2017, la fonction publique représentait 41 % de l’emploi total, dans un pays où le chômage concernerait 47 % de la population active. Les postes clés de l’État sont confiés aux proches du régime : l’oncle d’IOG préside Djibouti Ports Corridor Road (disposant du monopole sur le trafic routier sortant de Djibouti) et l’Autorité des ports et zones franches de Djibouti, son cousin germain dirige Électricité de Djibouti, son fils possède Douda Tazwid Industries (monopole sur les produits laitiers) et son beau-frère est Premier ministre. La transition vers un modèle de croissance inclusif se heurte donc à certaines pratiques du régime.



[1] Twenty-foot equivalent unit, soit la taille d’un conteneur standard.

[2] PWC, Strengthening Africa’s gateways to trade, Avril 2018. Selon ce rapport, si le port de Mombasa ne peut accueillir que 500 000 TEUs par an, il a traité plus de 1,2 M TEUs en 2017. A contrario, le traitement effectif à Djibouti n’aurait pas dépassé les 1 M TEU en 2017, soit 50 % de ses capacités.

[3] Les chiffres suivants sont issus du RCF de mai 2020, la publication du WEO d’octobre 2020 donne des résultats différents, plus optimistes pour le dernier, sans que nous ayons d’éléments concomitants. Nous avons donc fait le choix de rester sur des résultats détaillés que nous comprenons de mai 2020. Une mission est prévue fin novembre à Djibouti, et permettra de confronter les résultats.  

[4] La parité du franc djiboutien au dollar est fixe avec pour valeur 1 USD = 177,72 FDJ depuis 1973.

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