DJIBOUTI
Dividende démographique djiboutien : une matérialisation menacée par la croissance peu inclusive du pays
Sans comparaison aucune avec son voisin éthiopien, Djibouti, plus petit pays de la Corne de l’Afrique, voit sa population s’accroître dans la durée, résultat d’une transition démographique amorcée en 1950. Cette dynamique démographique représente un défi pour Djibouti au regard de la faible inclusivité de sa croissance se reflétant dans la distorsion entre le PIB/habitant du pays (3 588,5 USD en 2022, un des plus élevés de la région) et ses indicateurs de développement, notamment en matière d’éducation, qui tranchent nettement. Le développement du capital humain, dans une économie dominée par le secteur des services, doit être une priorité pour le pays.
Dynamiques démographiques et PIB par habitant
Amorcée dès les années 1950, la transition démographique djiboutienne se caractérise par une chute significative du taux de mortalité entre 1950 et 1990, passant de 22,3 morts pour mille (‰), à 11,7 ‰, avant de se stabiliser à 8,8 ‰ en 2020. En parallèle, le taux de natalité atteint un point haut en 1966 à 47,0 naissances pour mille (‰) avant de diminuer de manière constante et significative jusqu'en 2022 pour atteindre 21,9 ‰. Résultante de ces deux dynamiques concomitantes, la population djiboutienne a été multipliée par plus de 18 entre 1950 et 2022, passant de 61 000 à 1,1 million, soit une croissance moyenne annuelles de 4,0 %. Aujourd’hui, l’espérance de vie à la naissance est de 63 ans contre un peu plus de 41 ans dans les années 1950. Autre témoin de cette transition démographique, le taux de fécondité qui a été divisé par plus de deux sur la période 1990-2022 (de 6 à 2,8 enfants par femme). D’après les estimations des Nations Unies, Djibouti devrait entrer dans un régime démographique qualifié de « moderne » à partir des années 2050 (avec un taux de natalité inférieur à 15 ‰ et de mortalité inférieure à 10 ‰). La population djiboutienne devrait atteindre 1,7 million en 2100.
Soulignons le rôle attesté mais difficilement mesurable des flux d’immigration dans l’accroissement démographique total du pays. Véritable exception dans la région de la Corne de l’Afrique, Djibouti a connu depuis 1950 un solde migratoire largement positif (16,7 ‰ en moyenne entre 1950 et 2022) même si ce dernier tend à diminuer. Ce solde migratoire élevé a été amplifié par les situations d'instabilité récurrentes dans les pays voisins (Somalie, Ethiopie, Erythrée) mais est également favorisé par la perméabilité des frontières et la continuité ethnique, linguistique et culturelle avec les trois pays cités plus haut.
Parallèlement à la croissance de sa population, Djibouti a observé une hausse significative de son PIB/habitant lui permettant de se classer dans la catégorie « pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure ». Caractérisé par une croissance constante et modérée jusqu’aux années 2000, passant de 1070 USD en 1991 (premières données disponibles) à 1087 USD en 2000, ce dernier explose à partir de 2010, de 1836 USD à 3588,5 USD en 2022 (+6,3 % par an en moyenne), ce qui correspond au troisième meilleur revenu par habitant de la région AEOI après les Seychelles et Maurice. Cet accroissement a été notamment porté par la stratégie de développement pré-covid de Djibouti fondée sur de larges investissements dans les infrastructures et qui ont permis une forte croissance économique sur la décennie 2010-2019 (5,9 % en moyenne), néanmoins générateurs de dette.
Une croissance structurellement peu inclusive qui pourrait mettre en péril la matérialisation du dividende démographique
Entre 1960 et 2021, la proportion de la population djiboutienne en âge de travailler est passée de 54 % à 64 %, faisant mécaniquement baisser le ratio de dépendance (-19,8 points de pourcentage entre 2000 et 2021). Le taux d’activité (ou taux de participation à la population active), lui, est faible (32,3% en 2017) en raison d’un modèle de croissance resté peu inclusif malgré les années de forte croissance économique durant la décennie précédente. En effet, les investissements ayant été concentrés sur des projets à forte intensité en capital, dans la logistique notamment, peu d’emplois ont été créés et le chômage reste élevé : 28,4 % en 2021 selon la Banque Mondiale, dont 39,4 % chez les femmes. Les données nationales rapportaient, elles, en 2017 (dernières données disponibles) un taux de chômage supérieur (47 %) touchant particulièrement les jeunes (86 % chez les 18-24 ans). Ajoutons que la concentration de la population en zone urbaine (78,2 % en 2021) et particulièrement dans la capitale tend à favoriser, en raison d’une distorsion offre/demande d’emploi, le secteur informel.
Ce gonflement de la population en âge de travailler devrait continuer sur les dix prochaines années au regard de la croissance démographique et de l’allongement de l’espérance de vie anticipés sur la même période. Un tel dynamisme démographique devrait générer une pression accrue sur le marché du travail interrogeant alors la capacité de la croissance djiboutienne à absorber cette pression.
Une nécessité d’augmenter le capital humain pour répondre à l’évolution de la pyramide des âges
Les indicateurs de développement de Djibouti, notamment en matière d’éducation, sont faibles par rapport au revenu par habitant du pays. En 2017[1], un peu plus de la moitié (53 %) de la population âgée de plus de 15 ans de Djibouti savait lire et écrire. Les taux d'alphabétisation varient en fonction du sexe (près de 60 %des hommes sont alphabétisés contre 43 % des femmes en 2017) et des régions (59 % de la population de la capitale savait lire et écrire en 2017 contre 29 % en dehors des zones urbaines). On remarque également une chute des dépenses d’éducation : le gouvernement djiboutien a dépensé en 2018 l’équivalent de 3,6 % du PIB dans l’éducation contre 9,8 % en 2000. Ceci s’explique par l’accumulation de la dette publique qui érode la capacité du pays à financer des biens publics, en premier lieu l’éducation. Des progrès en matière de développement du capital humain à Djibouti sont pourtant attendus des acteurs économiques (la pénurie de main-d'œuvre qualifiée est désignée par ces derniers comme l'un des principaux obstacles à l'activité des entreprises) et seront à l’avenir nécessaires pour tirer profit de la dynamique démographique.
[1] Rapport “ Challenges to inclusive growth : a poverty and equity assessment of Djibouti”, Banque Mondiale, 2019