Après une certaine stabilité sur la décennie, l’inflation atteint un taux record, conséquences de la guerre en Ukraine et de l’envolée des prix alimentaires

Avec une moyenne décennale à 2,0 %, l’inflation djiboutienne est restée stable et relativement faible durant la période 2010-2020, une tendance qui s’est maintenue lors de la pandémie de Covid-19. La stabilité artificielle du Franc Djiboutien, permet, par son rôle de garde-fou, de limiter l’inflation du pays. Toutefois, la guerre en Ukraine et ses effets sur les prix alimentaires viennent frapper Djibouti, micro-Etat entièrement dépendant de ses importations (en provenance notamment de son voisin éthiopien) déjà touché par les pénuries sur certains produits et les épisodes de sécheresse historique en 2022. Dans ce contexte inflationniste, le risque d’augmentation de l’insécurité alimentaire est particulièrement préoccupant.

Une forte poussée de l’inflation après une décennie de relative stabilité

Avec une moyenne de 2,0 % par an sur la période 2010-2019, l’inflation s’est maintenue dans une fourchette relativement étroite, entre -0,8 % et 5,2 %. La crise Covid-19 n’a pas eu d’effets inflationnistes durables au regard des taux d’inflation en moyenne annuelle en 2020 et 2021, respectivement de 1,8 % et 1,2 % contre 3,3 % en 2019. Le taux élevé et persistant de l’inflation éthiopienne (13,8 % en moyenne décennale) a donc eu peu d’impact sur celui de Djibouti, protégé par des accords gouvernementaux sur le prix des imports de denrées alimentaires de base depuis l’Ethiopie.

L’inflation repart à la hausse depuis mars 2022. L’indice général des prix a augmenté de 11,5 % en glissement annuel à la fin juin 2022, et de 6,1 % en septembre 2022[1]. Cette inflation, principalement importée, est portée par les prix de l’alimentation tout d’abord, puis des prix des carburants : les sous-composantes ‘Alimentation et boissons non-alcoolisées’, ‘Logement, eau, électricité, gaz et autres carburants’ et ‘Transport’ de l’IPC représentant 79,4 % du panier de consommation annuel d’un ménage djiboutien (respectivement 36,4 %, 27,7 % et 11,3 %) ont augmenté respectivement de 12,7 %, 2,4 % et 0,1 % en g.a. en septembre. Alors qu’il prévoyait une inflation annuelle moyenne de 3,8 % pour 2022 en avril, le FMI a revu ses estimations à la hausse et annonce[2] désormais une inflation moyenne à 6,6 % en 2022, un taux jamais atteint en dix ans.

Cette hausse s’explique par la transmission des prix mondiaux du pétrole et des denrées alimentaires, dans un contexte de guerre russo-ukrainienne, à laquelle s’ajoutent des facteurs domestiques tels que la forte sécheresse des trois premiers mois de 2022 qui affecte la production bovine, ou encore les pénuries périodiques d’importation de produits frais d’Ethiopie. En tant qu’importateur net de produits alimentaires, Djibouti est d’autant plus vulnérable aux effets de la crise alimentaire que plusieurs grands exportateurs ont mis en place des mesures d’interdiction d’exportation de certains produits jugés vitaux (par exemple, l’Indonésie, l’Inde et la Malaisie ont proscrit les exportations respectivement d’huile de palme raffinée, de volailles et de blé).

Un pays hautement vulnérable à la hausse des prix alimentaires laissant craindre une augmentation de l’insécurité alimentaire parmi les plus vulnérables

L’alimentation représente à elle seule près de 40 % du panier de consommation moyen, précipitant de nombreux ménages dans la précarité et l’insécurité alimentaire. Les autorités nationales ont indiqué qu’entre mars et juin 2022, environ 132 000 personnes (11 % de la population) étaient en situation d’insécurité alimentaire aiguë, dont 5 000 personnes en situation d’insécurité alimentaire d’urgence et environ 127 000 personnes en situation de crise. La Banque Mondiale rappelle que l’envolée des prix des produits alimentaires affectera, en premier lieux, les ménages les plus vulnérables qui consacrent une part plus importante de leurs revenus aux dépenses de consommation alimentaire (50 % de leurs dépenses totales contre 32 % pour les ménages les plus riches).

Face à cet important risque de hausse de l’insécurité alimentaire, le gouvernement a adopté un plan d’action comprenant : i) une campagne de sensibilisation des importateurs, grossistes locaux et détaillants ; ii) une réduction des marges commerciales sur les prix des produits de base ; iii) un contrôle strict et une publication mensuelle des prix homologués pour 7 produits alimentaires de base essentiels (blé, sucre, huile de cuisson, farine, riz, lait et pâtes) ; et iv) une exonération de TVA pour la raffinerie nationale d’huile de palme. Ces mesures ont permis la stabilisation voire la diminution des prix du sucre, de l’huile de cuisson, du lait, des pâtes importées, du blé et de la farine par rapport à leurs niveaux de mars 2022 (le prix du riz continue lui d’augmenter). La Banque Mondiale appuie aussi le gouvernement dans sa lutte contre la hausse des prix des produits alimentaires via deux dons successifs de 30 et 20 MUSD qui devraient notamment permettre l’établissement d’un stock physique de produits alimentaires et d’un fonds d’urgence pour assurer la disponibilité des produits alimentaires de base en cas de perturbations du marché.

Une stabilité du franc djiboutien, appréciée des investisseurs internationaux, et permettant de limiter les effets inflationnistes des différents chocs

La politique monétaire est déterminée par un régime de caisse d’émission mis en place en 1949, impliquant une parité fixe entre le franc djiboutien et le dollar. Arrêtée à 1 USD = 177,72 FDJ depuis 1973, la valeur du franc djiboutien reste depuis inchangée. Ce système monétaire ne permet pas à la Banque Centrale de Djibouti de mener une politique monétaire active, son rôle étant avant tout de s’assurer que sa masse monétaire est adéquatement soutenue par des réserves de change. Ce mécanisme a permis au pays d’ancrer la valeur de la monnaie, de limiter l’inflation et ainsi d’asseoir la confiance des investisseurs internationaux, un élément fondamental de l’attractivité économique du pays. Les flux des capitaux entrants et sortants déterminent le niveau des réserves officielles du pays, qui sont presque exclusivement détenues en dollar américain afin d’assurer la couverture à 100 % de l’émission fiduciaire.

Le franc djiboutien serait largement surévalué par rapport à ses fondamentaux, impliquant une perte de compétitivité-prix des exportations mais n’impactant, en pratique, que peu le micro-Etat disposant d’une activité exportatrice très limitée.


[1] Selon l’Institut de la Statistique de Djibouti, INSTAD.

[2] Selon le World Economic Outlook, Octobre 2022.

Publié le