Indicateurs et conjoncture

Situation économique de la Chine (SER de Pékin)

 Deuxième économie mondiale, la Chine a connu depuis les années 1990 un rattrapage exceptionnel. La croissance enregistre toutefois ces dernières années un ralentissement tendanciel. La structure démographique, l’épuisement du modèle des années 2000 fondé sur des investissements dans les infrastructures et des exportations de biens manufacturiers, ainsi que la montée des déséquilibres internes pèsent sur le dynamisme économique du pays. Dans le même temps, la volonté de réorienter le modèle économique vers une croissance plus « qualitative » est réaffirmée depuis le XIXème congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) d’octobre 2017.

Après le choc initial de la pandémie, et un fort rebond en 2021, les conséquences de la « politique 0-Covid » ont largement pesé sur l’activité en 2022 : la Chine a enregistré une croissance de seulement 3 %, historiquement faible et loin de la cible annuelle fixée. Les difficultés du secteur immobilier et la difficile évolution du modèle de croissance chinois (la consommation intérieure restant atone) se sont ajoutées aux incertitudes de la politique sanitaire. Les mesures de soutien public massives ont largement porté l’activité, au prix d’une fragilisation des finances publiques, en particulier locales.

En 2023, l’atteinte de l’objectif de croissance annuelle (« autour de 5 % ») sera permise par le rebond consécutif à l’abandon des mesures sanitaires et à la reprise de la consommation. Les incertitudes demeurent nombreuses, poussant les autorités à maintenir un niveau de soutien élevé, alors que les défis structurels de long terme de l’économie chinoise continuent de peser sur la croissance potentielle du pays.

 

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1. Le « miracle » économique chinois et ses limites

La Chine, très largement bénéficiaire de la mondialisation, est aujourd’hui la deuxième économie du monde, tout en restant un « pays à revenu intermédiaire supérieur » selon la classification de la Banque mondiale. La Chine a connu, depuis le début de son processus d’ouverture et de réformes au début des années 1990, un rattrapage exceptionnel : une croissance réelle de 9 % par an en moyenne, un revenu par habitant passé de 900 à 19 000 USD (en parité de pouvoir d’achat), un salaire réel dans le secteur manufacturier multiplié par 14. Ce « miracle », fondé sur une main-d’œuvre abondante et bon marché, des investissements étrangers et des exportations de biens manufacturiers, en particulier depuis l’accession de la Chine à l’OMC en 2001, a permis au pays, selon la Banque mondiale, de sortir 800 millions de personnes de la pauvreté absolue.

La crise économique de 2008 a néanmoins mis en lumière les limites du modèle économique chinois de rattrapage. Face à l’effondrement de la demande extérieure lors de la crise de 2008, les autorités chinoises ont mis en place un plan de relance de 12,5 % du PIB s’appuyant particulièrement sur l’endettement des collectivités locales et des entreprises publiques. D’importantes surcapacités sont apparues, en particulier dans l’industrie et la construction, dégradant la productivité de l’investissement. Par ailleurs, l’industrie est particulièrement consommatrice de matières premières et contribue à la dégradation de l’environnement, préoccupation majeure pour la population. Enfin les autorités font face au vieillissement de la population avec la baisse de la population active, à une évolution insuffisante de la productivité, à de fortes disparités provinciales et à l’augmentation des inégalités globales (+11,5 pts de Gini net sur la période 1990-2010).

 

2. L’objectif de rééquilibrer le modèle vers une croissance plus « qualitative »

Depuis 2017, la Chine tente d’effectuer un rééquilibrage vers un modèle plus soutenable, reposant davantage sur la consommation domestique, tout en cherchant à réduire les déséquilibres et les risques financiers. Si le rééquilibrage s’est traduit par une hausse de la part des services dans le PIB au détriment de l’industrie (53 % du PIB en 2021 contre 43 % en 2009), la part de la consommation privée demeure quant à elle relativement faible (38 % en 2021 contre 35 % en 2009). Le rééquilibrage a par ailleurs accentué le ralentissement de la croissance. Les vulnérabilités macroéconomiques et financières domestiques demeurent toutefois nombreuses. L’endettement total de l’économie est passé de 150 % du PIB en 2007 à 291 % fin 2022 (le niveau d’endettement des ménages atteignant 61 % du PIB à fin 2022 contre 24 % du PIB à fin 2009, selon le FMI). Le secteur bancaire demeure fragile (hausse des prêts non-performants, shadow banking, inadéquation entre les besoins des acteurs économiques et les financements octroyés par les banques commerciales, sous-capitalisation des petites et moyennes banques). En outre, en lien avec la dynamique continue d’appréciation du RMB (+38,6 % de hausse du TCER de fin 2005 à fin 2022), la réduction tendancielle de l’excédent courant (de 7 % du PIB en 2005 à 2,1 % en 2022), conjuguée à la crainte de fuites des capitaux, entrave la réalisation des réformes d’ouverture et de libéralisation financière, dans un contexte marqué par de fortes tensions commerciales et géopolitiques avec les Etats-Unis depuis 2018.

Les politiques structurelles suivent les orientations du 14ème Plan Quinquennal (2021-2025), dans l’objectif de construire un « pays socialiste globalement moderne » d’ici 2035 – qui comprend celui, annoncé par Xi, du doublement du PIB entre 2020 et cette date. Identifiant les limites du modèle de développement suivi depuis 2008 (faible consommation des ménages, baisse tendancielle de la productivité, endettement élevé, population active vieillissante et problèmes environnementaux), le Plan vise à augmenter la croissance potentielle chinoise. La recherche, l’innovation (l’industrie numérique devrait représenter 10% du PIB en 2025), et l’éducation seraient mobilisés. L’investissement en R&D augmenterait de +7 % par an d’ici 2025. Le développement du capital humain passera quant à lui par l’allongement de la durée des études (de 10,8 à 11,3 années) et un taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur porté à 60 %, mais aussi par une stratégie spécifique autour des « talents pour l’innovation ». Le développement équilibré du marché intérieur sera rendu possible par le renforcement de la classe moyenne. La politique d’urbanisation (objectif de passer de 60 à 65 % d’urbains) et la levée de certaines contraintes de libre circulation interne soutiendront la consommation. Ce soutien passera également par des mesures de redistribution (élévation du salaire minimum, introduction de mécanismes de marché pour les grilles de rémunérations dans les SOE, etc.) et une hausse des dépenses sociales (retraite, chômage, aide sociale de base, assistance aux personnes âgées et garde d’enfants), encore lacunaires et sous-financées. En outre, la Chine maintiendra son approche d’ouverture sélective, selon ses besoins en technologies étrangères et la maturité des « champions nationaux ». L’ambition environnementale et climatique du Plan demeure par ailleurs faible ; l’énergie doit être « sûre » avant d’être verte. Priorité est d’ailleurs donnée à la sécurité énergétique sur les considérations environnementales, le Plan prônant une « utilisation propre et efficace des énergies fossiles ». La construction d’un « pays socialiste globalement moderne » d’ici 2035 se décline en plusieurs objectifs, tels l’élévation du PIB par tête à un niveau correspondant au seuil défini par la Banque mondiale à celui d’un pays à haut revenu d’ici 2025, le doublement du PIB d’ici 2035 (soit un taux de croissance annuel moyen induit entre 2019 et 2035 de 4,7 %), la projection du niveau de richesse au rang des pays développés (le PIB par habitant atteindra le niveau de ceux des pays développés), le développement des classes à revenu intermédiaire, l’amélioration des services publics de base, la réduction des écarts de développement entre les zones urbaines et rurales et le niveau de vie de leurs habitants. Cette transition est déjà en cours avec une urbanisation rapide, à la fois cause et conséquence de l’essor des classes moyennes. La Chine compte actuellement plus de 400M d'habitants à revenu intermédiaire, principalement dans les villes de premier et deuxième rang, représentant un important moteur potentiel de la consommation domestique.

 

3. La pandémie a affecté l’économie chinoise en deux temps, accentuant certains de ses déséquilibres internes

La maîtrise rapide du virus en 2020 a atténué les conséquences économiques du déclenchement de la pandémie, avant un fort rebond en 2021. Début 2020, le déclenchement de la pandémie de Covid-19 a entrainé un double choc de demande et d’offre, se traduisant par une croissance négative au T1 (-6,8 % en g.a.), pour la première fois depuis 1992. La maîtrise rapide de la circulation du virus a permis un retour à la croissance dès le second trimestre, que des mesures de soutien ont accompagné (augmentation du déficit public et des quotas d’émissions des gouvernements locaux destinés aux projets d’investissement, stimulation de l’offre de crédit aux PME, etc.). Sur l’année 2020, la Chine a été la seule grande économie à afficher une croissance annuelle du PIB positive (à +2,3 % en g.a.), tirée notamment par la forte croissance des exportations et l’expansion de l’activité industrielle. En 2021, la hausse soutenue de la production industrielle (+9,6 %, contre +2,8 % en 2020), le très fort dynamisme des exportations (+29,7 % contre +4 % en 2020) et l’investissement (+4,9 % contre +2,9 % en 2020) ont tiré l’activité, qui a également bénéficié d’un effet de rattrapage des ventes au détail (+12,5 %, après -3,9 % en 2020). La Chine a enregistré un taux de croissance de +8,4 % en 2021, largement au-delà de l’objectif annuel (« au-delà de 6% »), fixé à un niveau facilement atteignable compte tenu de l’effet de base.

En 2022, le retour d’une circulation active du virus et le maintien de restrictions sanitaires fortes jusqu’à la fin de l’année ont largement pesé sur l’activité économique. La Chine a enregistré une croissance de 3 %, loin de la cible fixée en début d’année (5,5 %). La performance économique de 2022, la plus mauvaise depuis 1976 (hormis 2020), est largement imputable à la politique 0-Covid, qui a notamment conduit au confinement de Shanghai au printemps. Les ventes au détail sont ainsi en légère contraction sur l’année (-0,2 %). En parallèle, les difficultés du secteur immobilier (effondrement des ventes de -28 % en g.a., baisse de l’investissement de -10 %, baisse des prix hors villes de rang 1, etc.), déclenchées par la mise en œuvre de mesures visant à limiter l’endettement des promoteurs, ont également pesé sur la croissance compte tenu du poids très élevé du secteur ces dernières années (jusqu’à 30 % de l’économie chinoise en prenant en compte les secteurs en aval). Des mesures de relance très importantes ont été déployées par les autorités pour soutenir l’activité : au niveau budgétaire, le FMI estime le soutien additionnel sur l’année à 2 % du PIB (plus de 350 Mds USD). Les gouvernements locaux ont ainsi émis plus de 4 000 Mds RMB (570 Mds EUR) de special purpose bonds, destinés à financer des projets d’investissement, notamment dans les infrastructures. Au niveau monétaire, le soutien est passé par deux baisses de taux (en janvier et en août) et l’usage de facilités de prêt ciblés (relending). Néanmoins, la politique monétaire a en partie été confrontée à un phénomène de « trappe à liquidité ». L’investissement a représenté le premier moteur de la croissance en 2022 (contribuant à hauteur de la moitié du chiffre annuel, avec une hausse de 5,1 %), mais avec une forte divergence : la croissance de l’investissement public (+10,1 % contre seulement +0,9 % pour l’investissement privé) en représente le moteur essentiel. Soutenue notamment par des subventions sectorielles, la production industrielle a progressé quant à elle de 3,6 %. Le dynamisme des exportations (+7 %) a également soutenu l’activité en Chine, la relative atonie des importations (+1,4 %) conduisant à un excédent commercial record sur l’année (889 Mds USD).

La réponse de politique économique à la pandémie a renforcé certains des déséquilibres internes, tout en écartant du rééquilibrage du modèle de croissance. Entre 2020 et 2022, l’investissement a représenté de loin le principal contributeur à la croissance chinoise (en moyenne 48 %, contre 33 % pour la consommation, par rapport à respectivement 37 % et 59 % durant les trois années antérieures). Le soutien budgétaire à l’activité, notamment en 2022, a largement fragilisé la situation des gouvernements locaux, sur lesquels a reposé l’essentiel de l’effort de relance. Le déficit public pour 2022 atteint un record, à 8 961 Mds RMB (1 280 Mds EUR), soit 7,4 % du PIB (en prenant en compte le budget public national et les divers fonds des administrations publiques, soit le deuxième compte public). La dette publique chinoise officielle atteint fin 2022 51 % du PIB (contre 38 % en 2019), tandis que la dette « élargie », estimée par le FMI en incluant les engagements hors-bilan des gouvernements locaux, est passée de 86 % à 110 % du PIB, avec notamment en déficit « élargi » pour 2022 estimé à 17 % du PIB. Au niveau social, les conséquences du ralentissement économique sur l’emploi, notamment pour les jeunes (dont le taux de chômage a atteint en juillet 2022 un record à 19,9 %), représente un défi pour les autorités.

 

4. En 2023, la réouverture du pays devrait permettre un rebond économique

La Chine devrait connaître en 2023 une reprise significative, à la suite de l’abandon des mesures sanitaires et grâce à un rebond mécanique de la consommation. Les autorités ont fixé une cible de croissance relativement prudente (compte tenu de l’effet de base) pour 2023 « autour de 5 % ». Certaines incertitudes demeurent toutefois : la reprise de la consommation sera contrainte par la faible progression des revenus enregistrée en 2022 et la situation sur le marché du travail, tandis que le ralentissement de la demande mondiale pourrait induire une contribution négative du commerce extérieur pour l’année. Le potentiel de rebond du secteur immobilier reste limité par les surcapacités très élevées du secteur ces dernières années. La stabilité financière, des entités publiques comme des banques moyennes et rurales, constitue également un point d’attention. Les défis structurels de long terme (endettement très élevé, croissance de la productivité qui décline, vieillissement démographique, absence de progrès vers le rééquilibrage du modèle de croissance, etc.) continuent par ailleurs de peser sur la croissance potentielle.

Lors des lianghui, les autorités ont signalé leur intention de maintenir l’orientation actuelle, relativement expansive, des politiques macroéconomiques. Au niveau budgétaire, le niveau de soutien devrait être stable par rapport à l’année dernière, avec toujours un effort massif d’investissement des gouvernements locaux et une poursuite des dispositifs d’allégements et de reports de charges. Au niveau monétaire, une baisse des taux est possible, mais resterait limitée, face à l’objectif de stabilité du taux de change. Des mesures périphériques (comme la baisse du taux de réserves obligatoires décidée en mars) et le recours aux instruments de relending constitueront des leviers mobilisés. Au niveau structurel, l’expansion de la demande intérieure et le soutien au secteur privé demeurent des ambitions affichées, tandis que les thématiques d’autosuffisance et de sécurité (dans tous les domaines) occupent une place désormais prépondérante du discours public.

 

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