CHILI
Le secteur aquacole au Chili, un secteur dynamique en mutation
Les caractéristiques géographiques exceptionnelles du Chili, bordé par trois océans, lui ont permis de développer une industrie aquacole parmi les plus avancées et rentables au monde. Avec une récolte de 1,489 million de tonnes en 2023, le pays se positionne comme le principal producteur d'Amérique de poissons et de mollusques (saumon d'Atlantique et moules). Malgré ces réussites, l'industrie fait aujourd’hui face à d’importants défis environnementaux et sanitaires. Pour continuer de se développer de manière durable, les industriels sont obligés de se réinventer pour réduire l'usage des antibiotiques, adopter des pratiques plus durables et intégrer dans le processus d’exploitation les dernières avancées technologiques.
- Le Chili, une puissance aquacole mondiale
L’étendue de la façade maritime du Chili (6 435 km de côtes selon le Gouvernement du Chili) confère au pays une mer d’une aire de plus de 4 millions de km² (en comptant la mer territoriale, la zone contiguë, la zone économique exclusive et la zone territoriale). Le pays bénéficie ainsi de différents types de climats et d’un accès à trois océans : le Pacifique à l’Ouest, l’Atlantique par le détroit de Magellan et l’océan Antarctique par les terres australes. Forte de ces atouts géographiques, l’aquaculture chilienne est très développée et fait partie des industries les plus avancées et rentables au monde. Sur l’année 2023, elle affiche 1,489 million de tonnes récoltées (-0,3% par rapport à 2022). Les poissons représentent 72,5% de la production avec 1,081 million de tonnes (+3,5%), les mollusques 26,5% avec 394 000 tonnes (-9,1%) et les algues 1,9% avec 14 200 tonnes (-8,3%). Ces chiffres placent le Chili comme principal producteur aquacole de l’Amérique selon la FAO.
La production aquacole se caractérise par une double concentration :
- Concentration de la production autour de trois espèces :
- le Saumon d’Atlantique, qui représente le premier poste de production avec 776 600 tonnes en 2023 (+2,7%, 52,1% du total de la récolte aquacole) ;
- les moules, dont le Chili est le premier exportateur mondial, avec 386 000 tonnes récoltées en 2023 (+9,6%), elles représentent 97,8% de la production nationale de mollusques, et 25,9% du total de la récolte aquacole ;
- le Saumon du Pacifique avec 253 900 tonnes (+17,7%). Le Chili est le deuxième producteur de saumon d’élevage au monde, derrière la Norvège : c’est le deuxième produit exporté après le cuivre et il représente à lui seul 74% des exportations du secteur aquaculture et pêche.
- Concentration géographique : les régions de Los Lagos, Aysen et Magallanes assurent 99 % de la production aquacole en 20231, la région des Lacs regroupe 100% de la production de moules, dont 80% ont lieu sur l’Île de Chiloé.
Sa forte capacité de production place le pays au 4ème rang des exportateurs de produits aquacoles avec 7,6 milliards d’USD en 2023. Les Etats-Unis (34,5%) le Japon (13%) et le Brésil (9,7%) en sont les principaux importateurs. L’industrie génère plus de 100 000 emplois au sein de 3 600 acteurs et représente avec la pêche 1,5 % du PIB national en 2023.
Chaine de production salmonière au Chili et principales entreprises aquacoles
2. Les nombreux défis de l’aquaculture
L’aquaculture offre une réponse à la surpêche dont les ravages sont constamment dénoncés par les scientifiques (extinction d’espèces, abrasion des fonds marins, prises accidentelles, pollution). Face à une demande en hausse, les élevages facilitent l’accès aux produits de la mer riches en protéines et permettent la reconstitution de la faune marine en plus de créer de l’emploi. Néanmoins, elle pose un certain nombre de défis, tant sur le plan environnemental que sanitaire.
Les principales exploitations mises en cause sont les fermes de poissons en eaux libres (ou offshores).
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- Elles affichent un taux de mortalité très élevé relativement aux autres industries d’élevage : 20 à 25% contre 5% et 3% pour l’élevage de poulet et de bœuf. En l’absence de systèmes de purification, les poissons baignent dans leurs excréments. Ils sont victimes de maladies/parasites tel que le pou de mer, dont la forte concentration de saumons dans la cage facilite le développement. La situation contraint les producteurs à recourir abondamment aux antibiotiques, finalement ingérés par le consommateur.
- Les exploitations, souvent offshores, posent également des problèmes de bouleversement des écosystèmes : modification des habitats côtiers, perturbation de la faune sauvage, pollution des eaux (antibiotiques, engrais ou autres produits chimiques). En cas d’accident, elles peuvent aussi conduire à l’introduction d’espèces exotiques dans l’environnement d’accueil des exploitations qui perturbent la chaine alimentaire et l’écosystème local. Ce fut le cas en 2017, où à la suite de marées importantes, 300 000 saumons d’Atlantique d’élevage s’échappent d’une ferme sur la côte Ouest des États-Unis.
Le développement de fermes terrestres permet d’atténuer une partie des risques décrits ci-dessous. Elles requièrent cependant davantage d’infrastructures, d’investissements et d’espace, bien que des innovations de fermes verticales tentent de répondre à ce dernier point.
La quantité de nourriture océanique exigée pour ces élevages (offshores ou non) demeure très importante. On parle aujourd’hui d’1,5kg de poissons sauvages pour 1kg de poisson d’élevage. Afin de viabiliser l’industrie, des startups développement l’incorporation de farines végétales ou de nourriture à bases d’insectes, de champignons, pour substituer la farine de poisson.
3. La réponse de l'industrie aquacole chilienne aux enjeux sanitaires, écologiques et technologiques
- En collaboration avec les autorités, les industriels chiliens conscients de ces enjeux diminuent l’usage d’antibiotiques dans les cultures (pour maintenir la biodiversité et la biosécurité). L’évolution de l’alimentation suit également la tendance mondiale, dans un contexte où les principaux pays importateurs ont renforcé leurs exigences de qualité (Union européenne, Etats-Unis, Japon).
- Les acteurs chiliens sont très à l’écoute de solutions innovantes et éco-responsables pour réduire l’empreinte carbone de cette industrie et réguler l’usage des ressources énergétiques et aquatiques. L’IA est continuellement intégrée aux processus de production aquacoles au Chili, au niveau de l’alimentation, l’identification des espèces dans le plancton, le diagnostic des maladies ou pour la reconnaissance des blessures. La robotique a également fait son entrée dans l’industrie, dans les processus de production, dans les opérations sous-marines et à travers l’usage de satellites (prévisions météorologiques et océaniques). Pour ces solutions et la fourniture d’équipements technologiques, les opérateurs se tournent principalement vers l'Europe et les États-Unis lorsque qu’ils recherchent de la qualité, et vers la Chine lorsqu’ils prospectent des solutions plus compétitives.
- Pour tenter de réduire la pression environnementale sur la zone australe du pays, il est envisagé d’étaler la production aquacole dans d’autres zones du pays (notamment la zone au Nord où il existe déjà quelques fermes aquacoles de pétoncles). Selon certains experts, le Nord présenterait non seulement un potentiel environnemental mais pourrait aussi venir compléter l’offre actuelle de produits exportés (mollusques). Si ce scénario venait à se confirmer, il faudrait tirer profit du potentiel solaire et éolien pour alimenter de manière durable la production. En ce qui concerne les cultures en mer, la tendance offshore tend malheureusement à se confirmer9. Cependant, l’expansion géographique des cultures stagne en raison des procédures d’obtention des permis en constante évolution et, créant une incertitude juridique, tant pour les nouveaux projets que pour les simples déplacements de fermes offshores. En réponse aux plaintes des industriels, la loi sur la création du service de biodiversité et des zones protégées (SBAP), promulguée en août 2023, devrait permettre de centraliser et d’unifier les procédures de délivrance des autorisations et des permis relatifs à la gestion des zones protégées, mettant ainsi en place une gestion plus efficace et cohérente. Après avoir été retirée de cette dernière loi, l’interdiction des fermes aquacoles dans ces zones, très polémique, devrait être étudiée de nouveau dans le cadre du projet de la nouvelle loi de pêche, actuellement discutée au Parlement chilien. Le gouvernement souhaite interdire l’implantation de nouvelles fermes aquacoles et la rénovation des existantes dans les zones protégées. Ce projet prévoit par ailleurs de renforcer le contrôle des exploitations aquacoles avec l'augmentation des inspections et la mise en place de systèmes de traçabilité pour suivre l'origine et la gestion des ressources aquacoles.
- En 2022, l’association syndicale SalmonChile a publié son huitième rapport de soutenabilité de l’industrie du saumon au Chili. Il décrit l’effort de l’industrie pour continuer à exploiter les ressources aquacoles nationales tout en intégrant des initiatives de R&D et des solutions plus durables dans son activité. Efforts qui peinent cependant à changer la perception du secteur par l’opinion publique chilienne.
Bien que le Chili se tourne traditionnellement davantage vers la Norvège et le Danemark pour la fourniture d’équipements pour l’aquaculture (principalement pour le saumon), le marché de la production aquacole au Chili offre des opportunités intéressantes pour les entreprises françaises, dont les produits technologiques sont bien perçus en raison de leur caractère innovant et disruptif. La transition vers une aquaculture plus durable est donc une source d’opportunité pour les entreprises françaises, notamment dans le secteur technologique. L’offre française devrait être en mesure de se positionner pour répondre au niveau toujours plus haut d’exigences réglementaires imposé par le Gouvernement mais également jouer un rôle dans la définition des normes applicables au secteur, à l’heure où le dialogue demeure difficile entre les secteurs public et privé autour des évolutions légales.