L'hydrogène renouvelable et bas carbone au Chili : perspectives pour la relation bilatérale

La qualité exceptionnelle des ressources éolienne et solaire du Chili devant se traduire par des coûts de production d’hydrogène vert (et des dérivés) inférieurs de 20 à 30% (selon McKinsey) à ceux des autres grands producteurs, les entreprises françaises accélèrent leurs prises de position, notamment sur des projets de très grande ampleur en production de GH2 et de dérivés (Total Eren, Engie, EDF, Air Liquide, CVE, etc.), mais aussi sur l’ensemble de la filière (hub hydrogène à l’aéroport ; green mining ; etc.), faisant entrevoir la possibilité d’un changement d’échelle dans la relation bilatérale entre la France et le Chili.

Malgré les coûts de transport, les facteurs de charge record en solaire comme en éolien permettront au GH2 chilien et à ses dérivés d’être compétitifs sur la plupart des grands marchés

Le Chili a défini en 2020 sa Stratégie nationale de l’hydrogène vert (GH2), que l’actuel Président Gabriel Boric a reprise à son compte et qui fixe 3 objectifs : 5GWe en installation en 2025 ; production du GH2 le moins cher au monde en 2030 ; figurer parmi les 3 plus grands exportateurs de la molécule en 2040. Cette ambition est permise par des facteurs de charges records (65% en éolien ; 37% en solaire, contre 30% pour l’Arabie Saoudite par exemple) et de régions faiblement peuplées où devraient pouvoir se développer les mégaprojets. Les terrains récemment préemptés par les énergéticiens dans la seule province de Patagonie portent ainsi, déjà, sur une capacité de production éolienne de 37 GW. Conscient de la magnitude et de la complexité de l’enjeu, une des premières décisions du nouveau gouvernement de Gabriel Boric a été de créer, dès avril 2022, un des seuls organismes interministériels du Chili (11 ministères) : le Comité pour le développement de l’industrie du GH2, qui est présidé par le Ministre de l’Énergie et animé par l’agence publique de l’innovation CORFO (Ministère de l’Économie).

La production en 2040 serait composée à 40% d’e-fuels (ou carburants synthétiques, dont les carburants aériens, diesel et essence synthétique et méthanol), 19% d’ammoniac, 17% d’acier pré-oxydé, 14% d’engrais et 11% de GH2 en tant que tel. Selon McKinsey, les coûts de production du GH2 chilien seraient les plus bas du monde : 1,05 USD/kg en 2030, puis 0,9 USD en 2040 dans le Sud du pays ; et 1,2 USD (2030) et 1,0 USD (2040) dans le Nord ; c’est-à-dire des niveaux de coût  inférieurs à ceux actuels de l’hydrogène gris ou marron (entre 1,5 USD et 2 USD par kilogramme d’H2) et 20 à 30% moins élevés que le GH2 produit en Arabie Saoudite, en Australie ou en Espagne, seule la production chinoise étant susceptible d’être moins onéreuse. Cette différence de coût se retrouverait par ailleurs sur les vecteurs énergétiques dérivés de l’H2, tels que l’ammoniac et le méthanol vert, les essences de synthèse, le diesel de synthèse ou encore le carburant d’aviation synthétique. Compte tenu de l’isolement géographique du Chili, le transport des molécules représentera vraisemblablement la majeure partie du prix sur les grands marchés de consommation mondiaux. Le GH2 liquéfié sera transporté par voie maritime à destination de 3 grands marchés dès 2030 (Asie de l’Est – Japon et Corée du Sud ; États Unis et UE - Grande Bretagne), face à une concurrence encore mal définie (distance ; modes de transport ; volumes d’H2 disponibles ; etc.). Sur le marché d’Asie de l’Est, le GH2 Chilien sera probablement en concurrence, à coût final similaire, avec le GH2 australien : 3,1 USD/kg pour l’H2 Australien, contre 3,0 USD pour l’H2 éolien chilien et 3,2 USD pour l’H2 solaire chilien, dont 2,1 USD de transport. Le GH2 chilien serait en revanche en position d’avantage sur le marché Nord-Américain, avec un cout moyen de 2,7 USD/kg d’H2 chilien, contre 3,1 USD pour le GH2 importé du Moyen Orient. Les débouchés sur le marché européen seraient moins évidents, le GH2 chilien pouvant y être vendu 3 USD/kg, en 3e position seulement, loin derrière les productions concurrentes du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord qui bénéficieront des coûts imbattables du transport par pipelines, qui permettrait d’espérer un coût final total à seulement 1,8 USD/kg, toujours selon McKinsey.

Plus facile à transporter sous forme liquéfiée et par voie maritime, l’ammoniac vert produit au Chili présentera une compétitivité exceptionnellement élevée, quel que soit le marché de consommation : son coût après transport serait 12% moins cher que la concurrence en Asie de l’Est et en Europe, voire 14% sur le marché Nord-Américain. Pour ce qui ne sera pas consommé directement sous forme d’ammoniac, il faudra toutefois rajouter le coût de la retransformation en dihydrogène.

En définitive, la valeur de la production (national et international ; GH2 et l’ensemble des dérivés) est estimée à plus de 20 Mds USD en 2030 et 105 Mds USD en 2040, ce qui est considérable au regard des 310 Mds USD de PIB actuel du Chili.

Sans surprise pour ce pays encore largement imprégné de néolibéralisme, les politiques publiques venant en soutien du plan national de l’hydrogène sont très faiblement dotées sur le plan budgétaire et l’effort est considéré comme devant venir quasi-exclusivement des milieux d’affaires, sur un mode proche de ce qui a fait le succès du Chili dans le domaine minier. Le seul programme de financement public qui a été lancé à ce jour ne porte ainsi que sur 50 M USD, à répartir entre 6 projets (dont Engie et Air Liquide) qui entreront en production en 2025 et représenteront un investissement de 1 milliard USD pour une production annuelle de 45 000 t d’hydrogène. En complément, des mécanismes facilitant l’accès aux terrains sont mis en place, comme par exemple l’appel à projets « Ventanas al futuro », au travers duquel l’Etat permet l’acquisition accélérée et à un coût raisonnable de terrains publics à haut potentiel solaire. En retour, les acheteurs s’engagent à installer dès 2025 une puissance minimum de 25 MW d’électrolyseurs de production de GH2. 100 000 hectares seront ainsi attribués en 2022 par ce dispositif, ce qui, selon les estimations, permettrait d’atteindre une puissance installée d’électrolyse de 1GWe en 2025.

 

Mettant à profit leurs implantations préexistantes dans ce pays notamment dans la génération électrique, les groupes français sont aux premiers rangs dans la course de vitesse qui est lancée pour disposer avant la concurrence des meilleures conditions de production.

 

Sur le plan institutionnel, enfin, la relation entre le Chili et la France sur le GH2 est sur le point de se densifier avec la création – convenue lors de la rencontre du 10 septembre 2022 des Président Macron et Boric - d’un groupe de travail bilatéral dédié au sujet, qui donnerait un nouvel élan aux nombreuses actions entreprises depuis début 2021 (signature en juin 2021 d’une déclaration conjointe sur l’hydrogène décarboné entre la ministre de la transition énérgétique et le ministre de l’énergie chilien ; ministère où le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique (MEFSIN) déploie un expert technique international (ETI) dédié au GH2 à la fin du premier semestre 2023 ; mission du Medef Internatinal au Chili en juin 2022 ; plusieurs visites ministérielles chiliennes en France ; plusieurs séminaires / tables rondes / visites en province (Learning expedition à Magallanes) ; un FASEP accordé en décembre 2022 pour substituer les générateurs diesels des mines artisanales par des piles à combustible hydrogène.

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