CHILI
IA au Chili: vers un leadership régional?
Le Chili s'affirme progressivement comme le pionnier de l’intelligence artificielle (IA) en Amérique latine. Avec une politique nationale ambitieuse, des investissements conséquents et une coopération internationale dynamique, le pays vise à positionner l'IA au cœur de son développement économique et technologique. Les entreprises françaises disposent d'un terreau fertile pour explorer de nouvelles opportunités de collaboration et de développement dans ce secteur en pleine expansion.
- Un cadre législatif et réglementaire favorable au développement de l’IA
En 2021, le Chili s’est doté d’une politique nationale sur l’intelligence artificielle (PNAI) à horizon dix ans. Inspirée par la Stratégie française initiée en 2018, la politique chilienne est structurée autour de trois axes : « facteurs habilitants », « développement et adoption », et « gouvernance et éthique ». Ces axes résultent d'un processus participatif engagé en 2019, renforcé par des consultations publiques successives en 2020 et 2021. En 2023, une révision du troisième axe, orientée sur la gouvernance et l'éthique face à l'IA générative, a permis d’inclure des éléments additionnels sur la coopération internationale, la gouvernance régionale et mondiale, et la standardisation de l’IA, mais également des recommandations sur l'environnement, le futur du travail, la culture et le patrimoine. Elle est accompagnée pour la première fois d’un plan d’action concret de 177 initiatives.
Le 7 mai 2024, un projet de loi « de régulation des systèmes de l’intelligence artificielle », inspiré de la réglementation européenne, a été déposé au Parlement, après l’audition d’une centaine d’experts et la création d’un comité technique auprès du ministère des Sciences (« Consejo Asesor Técnico de Inteligencia Artificial »). Il est en cours d’examen par les commissions permanentes dites « du Futur », au Sénat comme à la Chambre des députés. Le 26 août 2024, après 7 ans de discussions, a été adopté le projet de loi sur la protection des données personnelles, alignant la législation chilienne sur le RGPD européen et prévoyant la création d’une Agence nationale de protection des données qui aura la charge de mettre en œuvre les deux législations.
2. Des investissements conséquents en R&D et infrastructures
Le plan national de data centers, actuellement soumis à consultation publique, devrait permettre d’ouvrir 28 centres de données supplémentaires (22 data centers existants), pour un montant estimé à 2,5 Mds USD d’investissement public-privé. Un nouveau supercalculateur devrait également entrer en service d'ici fin 2024, dans la région de Tarapacá, au Nord du Chili et s’ajouter au supercalculateur existant, Guacolda-Leftrarú, hébergé au sein du Laboratoire national de calcul à haute performance (NLHPC). La collaboration avec les centres de recherche tels que que Inria Chile (centre franco-chilien en sciences et technologies du numérique) et l’IMFD (centre spécialisé dans les données) a été renforcée, tandis que de nouveaux centres ont été créés dans le contexte de la mise en œuvre de la PNAI, comme le Centre national de l'intelligence artificielle (CENIA), iHealth (IA et santé) ou FAIR (IA, art et culture).
L’investissement public-privé dans la R&D en IA au Chili devrait s’élèver à 95,4 M USD sur dix ans. L'Agence nationale de la recherche et du développement (ANID) participe activement à ce déployement à travers l'allocation de bourses de master et de doctorat ciblées, et le financement de près de 159 projets entre 2019 et 2022 par les fonds FONDEF et Fondecyt. Le pays a lancé des initiatives telles que le projet « Algorithmes Éthiques » et inauguré le premier doctorat en IA d’Amérique latine en 2023 dans la région du Biobío pour renforcer les écosystèmes.
L’administration chilienne souhaite également, à l’instar de la France, se doter d’outils d’intelligence artificielle pour améliorer l’efficacité de ses services aux usagers. Ainsi, au moment où la France, dans le cadre de sa stratégie IA pour les services publics, annonçait la création d’Albert, IA générative souveraine, libre et ouverte pour ServicePublics+, le ministère des Finances chiliens se dotait en mai 2023 de licences ChatGPT (Open AI). Une circulaire sur l’usage éthique de l’intelligence artificielle dans le service public a été diffusée en janvier 2024. En 2023, le Chili comptait 101 algorithmes publics, contre 50 en 2021, pour des applications diverses (p. ex. gestion de l’attente dans un hôpital, détection de réseaux criminels financiers, suivi et gestion d’animaux sauvages dans des aires protégées ou alerte en cas de risque de violences intrafamiliales).
Enfin, l’amélioration de la connectivité, avec le lancement de la 5G et l’annonce de nouveaux câbles sous-marins, devrait parachever la mise en place de l’écosystème de l’IA au Chili. Début 2024, 4 millions d'appareils étaient connectés à la 5G, un chiffre en augmentation de 88 % en un an (Subtel, 2024). Le projet « Câble Humboldt », opéré par Google et le gouvernement chilien, doit relier en fibre optique le Chili à l’Australie, en passant par la Polynésie, d’ici la fin 2026 et s’ajoutera aux cinq câbles déjà existants, renforçant ainsi la connectivité du pays.
3. Une coopération internationale dynamique
Le Chili est un moteur de la dynamique régionale sur l’intelligence artificielle, à l’image de la « Déclaration de Santiago pour la promotion d’une intelligence artificielle éthique » signée en octobre 2023 par 20 pays d'Amérique latine et des Caraïbes, avec le soutien de l’UNESCO et de la Banque de développement d’Amérique latine et des Caraïbes (CAF). Le Chili avait adhéré dès 2019 aux recommandations de l’OCDE en matière d’IA et il était devenu, en 2023, le premier pays d’Amérique latine à réaliser l’Assesment Methodology Report (RAM) de l’UNESCO, avec la Fondation Patrick J. McGovern. Il est aussi, depuis juillet 2024, membre du Partenariat mondial sur l'intelligence artificielle (PMIA ou GPAI), où il collabore étroitement avec la France, et doit participer à l’organisation du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle qui se tiendra à Paris les 10 et 11 février 2025.
Inria Chile incarne par excellence la coopération franco-chilienne en matière d’intelligence artificielle. Il s’agit de la seule antenne à l’étranger de l’Institut français de recherche en sciences et technologies du numérique. Créée en 2012, elle a déjà collaboré avec plus de 750 chercheurs et 330 universités, centres de recherche, entreprises et institutions publiques chiliens, latinoaméricains, français et européens, développant plus de 200 projets de R&D. Inria Chile organise chaque année un « Trophée Startup » en partenariat avec le service économique de l’ambassade de France au Chili et Business France, pour l’internationalisation de startups chiliennes disruptives en France. Elle coordonne également un programme de mobilité étudiante et doctorale entre la France et le Chili.
L'objectif d’Inria Chile est de renforcer l'écosystème franco-chilien de recherche et d'innovation dans l'intelligence artificielle en pilotant et en développant des projets concrets ayant des applications dans des domaines prioritaires pour les deux pays (énergies renouvelables, matières premières, astronomie, changement climatique, biodiversité, océans, déforestation, agroécologie et santé).
4. Un secteur vecteur d’opportunités pour les entreprises françaises
La dynamique chilienne en matière d'IA offre des opportunités intéressantes pour les entreprises françaises spécialisées dans les technologies numériques et l'intelligence artificielle. Ces entreprises pourraient tirer avantage de cette position stratégique pour développer des partenariats en R&D, investir dans des projets innovants et contribuer à l’essor du secteur technologique au Chili.
La présence d’Inria dans le pays est également un atout pour les entreprises françaises qui souhaitent se développer au Chili et en Amérique latine, le centre Inria Chile étant reconnu comme centre de R&D par le gouvernement chilien et bénéficiant de solides connexions avec l’écosystème chilien de recherche et d’innovation. L’appartenance du Chili au réseau européen Eureka représente également une opportunité pour les entreprises françaises puisque cela leur permet de postuler à des fonds publics pour le développement de projets ou clusters de R&D avec des entreprises et centres de recherche du Chili.
En 2023, l’indice latino-américain d’intelligence artificielle, créé par le CENIA, classe le Chili en première position de la région, avec un score de 72,67/100, incluant différentes variables comme la qualité des infrastructures, le développement de talents et l’investissement dans la R&D. En 2024, le Chili se classe 3e pays d’Amérique du Sud en nombre de startups spécialisées en IA, avec 152 startups, selon le cabinet d’études INNSPIRAL. 64 % des chefs d’entreprises au Chili estiment que l’IA sera l’une des tendances les plus pertinentes pour son industrie, mais qu’ils manquent de préparation, selon une étude 2024 de EY-IdDC.