Opportunités et perspectives des carburants d’aviation durables au Chili

Avec cinq vols annuels par habitant en moyenne, le Chili est particulièrement concerné par la décarbonation du secteur aérien. À travers sa feuille de route SAF (carburants d’aviation durables), le gouvernement a posé les jalons du développement d’une industrie nationale dont pourraient bénéficier les compagnies aériennes présentes sur le territoire. Néanmoins, le lent développement des technologies et le manque de mesures incitatives de la part du gouvernement suscitent le scepticisme vis-à-vis de ces carburants dont la rentabilité économique est encore loin d’être atteinte. 

 

1. SAF et aviation internationale 

L’aviation internationale représente 2 à 3% des émissions totales de CO2 dans le monde. Selon les prévisions, c'est aussi le moyen de transport qui devrait connaître la plus forte croissance d'ici 2050. Le secteur vise néanmoins des émissions nettes nulles d'ici 2050, un objectif qui nécessitera de basculer de carburants fossiles vers des biocarburants et des carburants synthétiques.

Les carburants d’aviation durables (ou SAF) sont des carburants alternatifs fabriqués à partir de diverses ressources plus ou moins durables, telles que la biomasse, les algues, les déchets agricoles/alimentaires, ainsi que l'hydrogène, dans le but de réduire l'empreinte environnementale du secteur aérien. C’est aujourd’hui la seule alternative viable pour les moyens-longs courriers, qui sont les plus polluants (6,2% des vols produisent 52% des émissions[1]). L’électrique et l’hydrogène, technologies qui ne seront disponibles qu’à moyen/longue terme, ne convenant qu’aux courtes distances et demandant d’importantes infrastructures, ne constituent pas la voie privilégiée pour immédiatement décartonner le secteur de l’aviation.

En 2023, la production de SAF s’est élevée à 600 millions de litres, soit 0,53% de la demande mondiale en carburant d’aviation. Pour 2024, on prévoit 1.875 milliard de litres2. À l’heure actuelle et à horizon 2030, une seule technologie de SAF est commercialisable : l’hydrotreated esters and fatty acids (HEFA), fabriquée à partir d’huiles végétales, de graisses animales ou d’huiles de cuisson usagées.

Les États-Unis et l’Union européenne sont les leaders du développement des SAF. Si les États-Unis se concentrent davantage sur un système basé sur l'incitation, l’UE a basé sa stratégie sur les mandats :

  • Le programme ReFuelUE Aviation de l’UE : une législation votée en octobre 2023 pour accroitre l’offre et la demande de SAF. Objectif de min 2% de SAF fournis en 2025 dans les aéroports européens, 6% en 2030, 20% en 2035 et 70% en 2050 (avec un volet e-carburant).
  • L’Inflation Reduction Act aux Etats-Unis : loi votée en aout 2022 qui mobilise des fonds pour l’industrie verte et notamment les SAF avec des crédits d’impôts pour les producteurs.

 

2. Les SAF au Chili

Un potentiel certain

Le Chili bénéficie de conditions environnementales optimales, notamment en termes d'ensoleillement et de vent, pour la production d'électricité renouvelable. Ces conditions favorables ouvrent la voie au développement des SAF de type E-carburant (Power-to-liquid) :

  • Les matières premières utilisées sont l’électricité et l’eau pour produire de l’H2, ensuite mélangé à du CO2 ou de l’azote pour produire du carburant liquide.
  • Les défis persistants concernent le coût élevé de la captation directe de l’air (DCA), et la nécessité d’une électricité verte (en concurrence de production avec d’autres secteurs), conditions nécessaires au très faible potentiel émissif du SAF ; ainsi que les coûts de production élevés de l’électrolyse.

Le gouvernement chilien et sa Feuille de route SAF

Le 10 avril 2024, le gouvernement chilien a officiellement publié sa feuille de route sur les SAF. Les piliers clés sont les réglementations, la création de marché, la création d'écosystème de marché et la R&D. L'objectif de cette feuille de route est de parvenir à une substitution de 50% du carburant conventionnel d’origine fossile par des biocarburants aéronautiques durables en 2050. Le Chili n’a pas souhaité définir des mandats d’incorporation réguliers (2 % en 2025, 6 % en 2030, 70 % en 2050 comme cela est le cas dans l’Union européenne avec le paquet Refuel EU aviation) faisant peser une grande inconnue sur le chemin à adopter pour parvenir à 50% de SAF d’ici à 2050.

Par ailleurs, dans sa feuille de route, le Chili s’engage à produire sur son sol le premier litre de SAF au cours des trois prochaines années ainsi qu’à construire une première usine pilote d’ici à 2030 pour une production à grande échelle. Cette feuille de route est donc un premier pas important qui favorisera les conditions nécessaires pour le décollage d'une industrie locale de SAF.

Les compagnies aériennes au Chili sont volontaires mais méfiantes

Conscientes de l’importance des SAF, notamment pour atteindre leurs objectifs respectifs de neutralité carbone, les compagnies aériennes présentes au Chili sont en phase d’analyse approfondie du sujet. Elles ont dans ce contexte indiqué vouloir voir se développer des politiques publiques pour les accompagner dans cette transition et rendre les SAF viables économiquement. Les compagnies aériennes chiliennes low-costs, comme Sky Airline, n’envisagent le SAF comme une alternative que s’il devient rentable et peut s’intégrer à leur business model.

De leur côté, Latam et Airbus ont commandé une étude au Massachusetts Institute of Technology (MIT) sur les questions suivantes : Quelle voie emprunter pour atteindre le zéro émissions de manière durable ? Comment tirer un avantage des particularités géographiques du Chili ? Le rapport final est attendu début septembre.

 

3. Défis et perspectives des SAF

Le développment des SAF requerra des actions conjointes de la part des acteurs privés et publics afin de répondre aux attentes. En 2050, on estime à plus de 400 milliards de litres la production de SAF nécessaire pour atteindre les objectifs de neutralité carbone du secteur de l’aviation mondiale (pour rappel, la production a atteint 600 millions de litres en 2023).

Viabilité économique et volonté politique

Le défi majeur autour des SAF est celui de la soutenabilité économique. Avec des coûts de production élevés, bien supérieurs au carburant actuel, le prix final des SAF est à ce jour 3 à 4 fois supérieur à celui du carburant conventionnel. La question épineuse étant de savoir qui paiera pour une utilisation accrue de SAF. Cette situation est exacerbée par la lenteur de la mise à l'échelle et de la commercialisation des SAF, en partie en raison des délais de R&D et du coût élevé des infrastructures nécessaires. Cette incertitude autour de la viabilité économique à long terme des SAF augmente le risque pour les investisseurs et donc la difficulté à trouver du financement. Les accords d’achat (offtake agreement) deviennent alors cruciaux pour garantir les investissements. Aujourd’hui, leur volume dépasse les 50 milliards d’USD. Mais cela ne permet pas toujours d’assurer une commercialisation de la technologie (certains SAF sont encore au stade de développement pilote).

Afin de développer la production de SAF au Chili, il est essentiel de mettre en place des politiques stables à long-terme (10-20 ans) pour combler l’écart de prix, prendre en charge les coûts d'investissement (avec des garanties de prêts ou des subventions en capital par exemple) et diminuer le risque sur ces investissements. Le pays devrait également explorer toutes les options possibles, y compris la conclusion d'accords d'approvisionnement avec le Brésil, qui pourrait devenir un important producteur de carburéacteur dérivé de l'éthanol. Des acteurs étrangers se positionnent aussi sur le sujet : les Pays-Bas, par l'intermédiaire de l'OACI, fourniront le financement nécessaire à l'élaboration d’une étude de faisabilitée sur les SAF.

 
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