Indicateurs et conjoncture

 

 

2019

2020

2021

 

2022

 

2023

(e)

2024

(p)

PIB nominal (milliards USD)

451,8

389,1

486,7

465,4

238,4

488,2

Population (millions)

44,9

45,4

45,8

46,3

46,8

47,2

PIB par habitant (USD)

10 054

8 572

10 616

13 655

13 297

13 394

Croissance du PIB réel (%)

-2,0

-9,9

10,3

5,0

-1,1

-2,8

Inflation (fin de période, %)

53,8

36,1

50,9

94,8

211,4

149,4

Chômage (moy. annuelle, %)

9,8

11,6

8,7

7,0

6,6

8,0

Solde budgétaire (% du PIB)

-4,4

-8,6

-4,3

-3,9

-5,2

0,0

Dette publique (% du PIB)

88,7

102,8

80,9

84,7

154,5

86,2

Solde courant (% du PIB)

-0,8

0,8

1,4

-0,7

-3,5

0,9

Dette extérieure (% du PIB)

61,6

69,8

55,0

58,8

113,7

56,8

Perception de la corruption (rang du classement Transparency International)

66

78

96

94

98

/

Source : FMI, INDEC, Banque centrale, Transparency International

 

L’Argentine est le 8ème pays du monde par sa superficie (2,8 millions de km², soit plus de 5 fois la France), et compte la 4ème plus grande population d’Amérique latine avec près de 47 millions d’habitants, derrière le Brésil, le Mexique et la Colombie.

Avec un PIB nominal de 632 Md USD en 2022, l’Argentine est la 3ème plus grande économie d’Amérique Latine, après le Brésil et le Mexique, et la 21ème économie mondiale. Son revenu par habitant, de 13 655 USD en 2022, lui confère la 3ème place du classement régional derrière le Chili et l’Uruguay. Au-delà de son revenu par habitant élevé, l’Argentine se distingue très sensiblement en Amérique Latine par son « très haut niveau de développement humain », avec un indice de développement humain qui s’établissait à 0,842 en 2021 (contre 0,901 pour la moyenne OCDE). L’Argentine est toutefois en recul, occupant désormais la 2ème place après le Chili, et la 46ème place mondiale, alors qu’elle était la 1ère de la région et 40ème mondiale en 2014.  

L’année 2023 a été marquée par la pire crise économique depuis 2001

En 2023, l’Argentine a été touchée par la crise économique la plus grave depuis 2001, matérialisée par une récession, une inflation incontrôlée, le déséquilibre des finances publiques, l’attrition des réserves de change et le décrochage du Peso. L’économie a été confrontée à de nombreux vents contraires, le plongeant en situation de récession (à -1,6 % selon l'INDEC). L’importante sécheresse a lourdement pesé sur une activité économique très dépendante du secteur agricole (10 % du PIB et 25 % des exportations totales en 2022) avec une baisse de 58 % de la production au cours de la campagne 2022-2023. En outre, 2023 a été marquée, côté offre, par la multiplication de contraintes imposées par l’Etat sur le commerce extérieur dans un contexte de pénurie de devises (restrictions commerciales, contrôle des capitaux, etc.), minant la confiance des agents économiques et côté demande, par une inflation galopante obérant la demande domestique.

L’inflation, historiquement élevée, a, en effet, atteint son plus haut niveau depuis la fin de l’épisode d’hyperinflation en 1991, à 211 % en g.a en 2023. Dans un contexte inflationniste, alimenté par le déséquilibre des compte extérieurs qui fait pression sur le Peso, la monétisation du déficit public par la Banque Centrale, et les comportements spéculatifs dues à l’instabilité économique et politique, la hausse des prix s’est accélérée en fin d’année, en raison de la hausse des dépenses publiques dans un contexte électoral, et surtout de deux dévaluations, exacerbant l’inflation importée. Face à des comptes externes sous tension, la précédente administration avait dévalué le Peso de 22 % en août, puis, au lendemain de l’investiture de J.Milei en décembre, la nouvelle a décidé d’une dévaluation de 54 %, alors que l’écart avec les taux de change parallèles atteignait 200 %. Dans ce cadre, la situation sociale se dégrade rapidement : 45 % de la population vivrait sous le seuil de pauvreté fin 2023, contre 36,5 % un an plus tôt.

Un déséquilibre important des comptes externes et publics en 2023

La situation des finances publiques est restée très dégradée en 2023 avec un déficit public qui aurait atteint 5,2 % du PIB (dont 3 pts de PIB de déficit primaire), en raison d’une collecte fiscale laminée par la baisse des recettes issues des exportations agricoles et de la hausse des dépenses (1,3 % du PIB) de la précédente administration, encouragée par le cycle électoral (mesures de soutien aux ménages). Alors que le pays n’a plus accès aux marchés internationaux, son financement externe est principalement dépendant de l’accord avec le FMI dont il bénéficie depuis mars 2022 (44 Mds USD sur 30 mois) alors que son financement domestique est grande partie le fruit d’une monétisation de la part de la Banque Centrale. Les comptes extérieurs ont été fragilisés par une balance courante largement déficitaire suite à la sécheresse, conduisant à une pénurie de devises et à de fortes pressions sur le Peso. La baisse des exportations agricoles (perte de plus de 20 Mds USD entrainant un déficit courant de 3,5 % du PIB), ainsi que les interventions de la Banque Centrale sur les marchés cambiaires ont creusé substantiellement le stock de devises (baisse de 52,5 % entre fin 2022 et début décembre 2023, réserves nettes à -11,2 Mds USD début décembre). Malgré d’importants besoins de financement externes, l’Argentine, plusieurs fois au bord du défaut, a toujours réussi à honorer ses engagements externes, notamment envers le FMI, grâce à l’aide du Qatar, de la Chine et de la Confédération Andine de Développement. De plus, dans l’incapacité d’accéder à des devises en raison des restrictions sur le change, les entreprises importatrices argentines ont accumulé une dette commerciale vis-à-vis des exportateurs étrangers, qui aurait atteint 60 Mds USD, contre 30 Mds USD en moyenne ces dernières années, induisant de nombreux arriérés de paiement.

L'arrivé de J.Milei au pouvoir : un tournant majeur pour l'économie argentine en 2024

Elu sur des promesses de revirement de paradigme économique, Javier Milei a ainsi hérité d’une situation économique  difficile. Face à une multitude de chantiers, il a choisi d’agir vite, sans gradualisme, en multipliant les annonces et les réformes depuis son investiture, le 10 décembre 2023, posant les bases de son plan ambitieux de stabilisation et de dérégulation de l’économie argentine. En situation de minorité parlementaire (7 sénateurs du 72 et 37 députés sur 257), le gouvernement a, à ce stade, essentiellement fonctionner par décrets, ou via des annonces de la Banque Centrale, ne réussissant pas à conclure des accords parlementaires pour avancer sur ses réformes structurelles. Ainsi, la loi « omnibus », particulièrement large et dont l’objectif est d’inscrire des réformes structurelles notamment économiques et politiques, est pour le moment en suspens, alors qu’elle était entrée au Congrès avec plus de 600 articles et a été réduite à 300 articles, avec notamment le retrait du paquet fiscal.

Sur les finances publiques, point central du programme de J.Milei, les mesures visant à rétablir l’équilibre budgétaire devraient modifier en profondeur la taille et le rôle de l’Etat dans l’économie. Dans l’objectif d’atteindre l’équilibre budgétaire dès 2024, alors que le que déficit public atteignait 5,2 % du PIB, il propose un plan drastique, afin de mettre fin au financement monétaire du déficit par la Banque Centrale, principale source de pression sur le change et d’inflation. Côté dépenses, l’objectif est de réaliser des coupes de l’ordre de 3 points de PIB en 2024 via une forte des subventions sur l’énergie et les transports, une réduction drastique des dépenses dans les infrastructures, une baisse des coûts de fonctionnement en réduisant le nombre de fonctionnaires et baissant les transferts aux Provinces. Côté recettes, la nouvelle administration souhaite rétablir l’imposition sur le revenu, presque supprimée en septembre, et augmenter l’imposition sur les importations et les exportations pour permettre de nouvelles rentrées fiscales.

Sur la politique cambiaire, face à une pénurie de réserves de change, une devise largement surévaluée au regard des fondamentaux économiques et une multiplicité de taux de change parallèles, la Banque Centrale a procédé à une dévaluation de 54 % du peso face au USD et à l’assouplissement de l’accès au marché des changes pour le paiement des importations. Ainsi, depuis le 13 décembre 2023, l’accès aux devises pour le paiement des importations se fait par quart (25 %), à 30, 60, 90 et 120 jours après l’enregistrement de l’entrée en douane correspondante, avec plusieurs exceptions, notamment pour les biens de première nécessité et l’énergie, où l’accès aux devises est facilité. En parallèle, face à la dette commerciale des importateurs argentins (60 Mds USD fin septembre 2023), le Banque Centrale a mis en place un système d’obligations en devises (Bopreal en trois séries) comme moyen de paiement pour rembourser les exportateurs.

Un ajustement macroéconomique drastique au prix d'un ralentissement de l'activité

Si le plan d’ajustement mené par le gouvernement de J.Milei commence à porter ses fruits sur un certain nombres d’indicateurs, notamment sur les comptes extérieurs et publics, il provoque également un fort ralentissement de l’activité, et une hausse de la pauvreté. Tout d’abord, les premières mesures ont été très bien accueillies par les marchés, avec un bond spectaculaire des cours boursiers (+80 % pour l’indice boursier argentin depuis l’élection) et une baisse des primes de risque-pays. Dans le sillage de la dévaluation de Peso, la Banque Centrale a accumulé plus de 11 Mds USD de réserves nettes, permettant de rembourser d’importantes échéances de paiement entre décembre 2023 et avril 2024 (mois des premières récoltes et entrées de devises via les exportations) et d’assouplir partiellement le contrôle du change. La brèche cambiaire (écart entre le taux officiel et les taux parallèles) s’est réduite à 20 %, contre près de 200 % avant l’élection. Par ailleurs, suite à des négociations avec le FMI ayant débuté avant l’investiture, la nouvelle administration est parvenue à un accord permettant le décaissement de 4,7 Mds USD fin janvier, l’institution internationale ayant approuvé le plan du nouveau gouvernement. Enfin, sur les deux premiers mois de l’année 2024, l’Argentine a réussi à dégager un excédent budgétaire pour la première fois depuis 12 ans, grâce à la contraction des dépenses, en lien avec la baisse substantielle des retraites en termes réels et la mise à l’arrêt du secteur de la construction publique.

Cependant, avec les premières mesures particulièrement incisives, l’inflation s’est envolée en décembre (25,4 %) et janvier (20,4 %). Si elle a baissé en février (13,2 %), elle reste élevée, atteignant 276 % en g.a, et le pouvoir d’achat chute fortement : les salaires réels du secteur formel sont en baisse de 5 % v.m en janvier et -22 % en g.a, la plus forte baisse depuis la crise de 2001, et le taux de pauvreté aurait augmenté de 12 points entre septembre et janvier, selon dans les standards locaux. Côté offre, l’économie marque fort coup d’arrêt : l’activité industrielle pointe une baisse de 12,4 % g.a en janvier et l’indice de construction s’est effondré en janvier, avec -21,7 % g.a, en lien avec la paralysie de la construction publique décrétée pour réduire les dépenses. Si l’ajustement drastique proposé par la nouvelle administration permet de rééquilibrer les comptes publics et extérieurs à court-terme, l’impact sur l’économie réelle est substantiel : le consensus de marché de la Banque Centrale table désormais sur une récession de 3,5 % en 2024 (-2,8 % pour le FMI), et la pauvreté ne cesse de croître.
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