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Sur les 3 axes de réformes annoncées en 2012 et destinés à créer un choc de confiance, les cibles ambitieuses fixées ont rarement été atteintes mais la période a marqué la fin du décrochage économique observé au préalable par rapport aux autres grands avancés. L'économie aborde la crise sanitaire avec des fragilités structurelles propres mais a aussi montré sa capacité de résistance, avec une situation financière globale des entreprises meilleure qu'en Europe. L'enjeu principal des années à venir est dans l'accélération du rythme et le changement de paradigme socio-économique.

I. Les Abenomics : 3 cibles (trop ?) ambitieuses pour un choc de confiance

À l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe en 2012, le Japon est marqué par deux décennies de quasi déflation (0,1% en moyenne sur 1992-2012 ; -0,1% en 2012 – cf annexe 1) et l’objectif est de contrer les anticipations traditionnelles pour relancer durablement la croissance. La politique économique allant de pair avec les Abenomics est avant tout un objet de communication, visant à atteindre une croissance de 2% à terme (contre 0,8% en moyenne sur 2002-2012). Elle s’articule autour de 3 « flèches » aux objectifs ambitieux :

  1.  une politique monétaire ultra-accomodante ciblant une inflation de 2% à moyen-terme (accord avec la BoJ en 2013) ;
  2. une politique budgétaire flexible à court-terme, suivi d’un assainissement à moyen-terme ;
  3. des réformes structurelles visant à enrayer un déclin de la population active (politique nataliste, participation des femmes au marché du travail, flexibilisation de ce marché, transformation numérique, ouverture sur l’extérieur…).
II. Des cibles rarement atteintes mais des performances appréciables au regard de celles des économies avancées

Au regard de leurs propres objectifs, le bilan des Abenomics apparait décevant (cf annexe 2). La croissance et l’inflation moyennes pour 2013-2019 se sont établies respectivement à 1% et 0,8% - bien en deçà de l’objectif de 2%. Les bilans sectoriels restent tout aussi décevants, notamment dans

  1.  l’agro-alimentaire : avec un doublement des exportations agricoles mais un taux d'auto-suffisance qui reste inférieur à 40%, ayant même perdu un point sur la période ;
  2. les infrastructures-énergie - avec un mix énergétique qui conserve la part belle aux énergies fossiles et à plus de 25% au seul charbon ;
  3. l’innovation et le numérique : avec un bilan très contrasté, où le Japon est en avance dans les domaines de la recherche académique et du hardware, mais très en retard dans certaines niches comme les logiciels.


Mis en perspective avec le reste du monde, le bilan des Abenomics apparait plus contrasté et, par certains aspects, enviable. Ainsi, sur 2013-2019, la croissance réelle et l’inflation sont respectivement supérieures de 0,2 pp et de 0,7 pp par rapport à la moyenne 1992-2012. Ce renversement est à rebours du mouvement observé pour les pays du G7, qui voient leur croissance et leur inflation baisser par rapport à la période précédente (1992-2012) : respectivement -0,1 pp et -0,7 pp en moyenne sur 2013-2019. Aussi, dans un contexte de déclin démographique (- 1,2 Mi d’habitants sous S. Abe – 126,5 Mi d’habitant en 2019), le PIB par tête (en parité de pouvoir d’achat) a augmenté de 1,2% en moyenne par an, soit plus rapidement qu’en France (+1%) et en Allemagne (+1,1%). Dans le même temps, la croissance de la dette publique – la plus élevée des pays de l’OCDE - a été contenue (+6 points, à 240% du PIB) et son financement, assuré par :

  1.  une politique monétaire accommodante ;
  2. une épargne nationale abondante, qui a évité des tensions sur les marchés ;
  3. un taux de chômage restant l’un des plus faibles de l’OCDE (passant de 4,3% à 2,2% entre décembre 2012 et décembre 2019), illustrant à la fois le dynamisme de l’économie japonaise et des contraintes de capacité, que l’imparfait décochage de la 3ème flèche des Abenomics n’a su lever.
III. Le talon d’Achille des réformes structurelles, bien avant la crise sanitaire

À la veille de la crise sanitaire, le Japon entre en récession (-1,8 % au 4e trimestre 2019 en raison d’une hausse de la TVA – cf. annexe 4) et l’état d’esprit déflationniste persiste. Les deux premières flèches – budgétaires et monétaires – atteignent leurs limites : la politique monétaire fait peser des risques sur la stabilité financière et la politique budgétaire est contrainte par le niveau de dette élevé. Enfin, la troisième flèche – réformes structurelles – devant créer un choc d’offre n’a été que partiellement tirée (taux de natalité en berne, retard des réformes du marché du travail ou de la transformation numérique). Faute de perspectives d’investissements rentables sur le territoire japonais, la trésorerie nette des entreprises triple sur la période 2012 – 2019. L’épargne nationale, disponible en abondance (plus de 6 fois le PIB), est investie dans des actifs domestiques sûrs à faible rendement (ex : dette publique) ou à l’étranger.

III. Une gestion de la crise de Covid-19 qui confirme la résistance de l’économie japonaise

Dans le contexte de la crise sanitaire, le Japon s’illustre par sa résilience. Après avoir débuté l’année en plus mauvaise posture que les grandes économies développées, la situation économique japonaise apparait aujourd’hui enviable à bien des égards. Les dernières données trimestrielles indiquent une contraction du PIB de 7,9% en g. t. au 2e trimestre (-13,8% en France), en lien avec une situation sanitaire bien moins dégradée et des restrictions bien moins strictes qu'en Europe. Le taux de chômage, de même, n'atteint encore que 2,9%, même si la dualité observée sur le marché du travail risque de s'accentuer (plus d'un tiers de contrats précaires). La trésorerie accumulée globalement par les entreprises demeure à des niveaux substantiels et apparait désormais comme un coussin contracyclique bienvenu, capable de soutenir le tissu productif japonais si elle est mieux orientée. Fort de cette crédibilité, le Japon fait l’objet d’un intérêt renouvelé de la part d’investisseurs à la recherche d’actifs sûrs, réputés parfois sous-évalués, et souhaitant profiter des promesses d’ouvertures illustrées par la conclusion de plusieurs accords de libre échange (UE, TPP, UK à venir, RCEP à venir).

Annexes

Annexe 1

Annexe 2

Annexe 3

Annexe 4

Les informations présentées dans ce point d'actualité sont identifiées par le SER de Tokyo. Elles n'ont aucune vocation d'exhaustivité. L'illustration de l'article est extraite du site Pixabay.

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