Tokyo

La croissance japonaise plonge de manière inédite au 2ème trimestre 2020 en raison d'une chute de la consommation et de la demande extérieure dans le contexte de la crise sanitaire. La récession touche une économie déjà fragilisée fin 2019 (hausse de la TVA, typhon Hagibis, impact des tensions régionales et commerciales mondiales) dans un contexte de bilan très mitigé des Abenomics. Les indicateurs récents sont orientés vers un semblant de reprise au 3ème trimestre mais des incertitudes demeurent dans l’hypothèse d’une seconde vague épidémique face à la forte hausse des contaminations détectées depuis un mois.

I. Déjà fragilisée, la croissance japonaise a atteint, à nouveau, un niveau-plancher au 2èmetrimestre.

1. La contraction du PIB en avril-juin a été provoquée tant par la demande extérieure qu’intérieure.

En récession pour le 3ème trimestre consécutif, le Japon fait face, au 2ème trimestre 2020, à sa plus mauvaise performance trimestrielle depuis le début de ses statistiques, avec une contraction de -7,8% en rythme trimestriel, largement anticipée par les analystes sondés par Reuters qui prévoyaient une diminution du PIB de -7,6%. La presse met abusivement en avant le chiffre de -27,8% de perte annualisée mais cette estimation n’est qu’une projection sur un an si les indicateurs restaient à l’identique du T2 (ce qui est peu réaliste) : en glissement annuel, la perte de croissance par rapport au T2-2019 n’est que de -9,9%. Il faut remonter à la crise des subprimes, en 2009, pour observer une performance dégradée de cet ordre (-4,8% sur le plus mauvais trimestre). Les composantes ayant le plus tiré à la baisse la croissance ont été sans surprise le commerce extérieur (-3 points de pourcentage de contribution) mais, de manière plus inattendue dans ce pays, la consommation des ménages (-4,6pp). Les investissements privés (-0,2pp) pèsent également mais dans une moindre mesure sur la richesse nationale tandis que la consommation publique apporte une contribution nulle. Le PIB est tombé à son niveau post-Fukushima (2011), annulant les (relatives) avancées apportées par les réformes Abenomics.

2. La performance du Japon reste meilleure que la plupart de ses partenaires mais ne doit pas cacher une économie déjà fragilisée fin 2019.

À l’échelle internationale, le déclin du PIB est moins importantqu’en France(-13,8%) et aux Etats-Unis (-9,5%) au T2 - et vraisemblablement sur l’ensemble de l’année puisque les prévisions de récession oscillent entre -4,5% et -6% - : les performances du T2 restent toutefois plus mauvaises que celles des voisins asiatiquesdu Japon tels que la Corée (-3,3%) ou la Chine (+3,2%). Le pays doit sa relative bonne performance à l’absence de confinement obligatoire et une situation sanitaire sans commune mesure avec celle d’autres pays développés (plus de 200 000 cas en France, contre 18 000 au Japon à fin juin). Toutefois, la pandémie touche de plein fouet une économie déjà fragilisée : au T4-19, le relèvement de la TVA puis le passage d’un typhon « Hagibis » avaient affecté la consommation et la production nationale, avec une 1ère contraction du PIB de -1,8% g.t.

II. Les indicateurs laissent entrevoir des espoirs de reprise mais restent contrastés pour le T3-2020

L’impact de l’épidémie a été progressif : baisse du tourisme récepteur en février, effondrement des importations en mars, état d’urgence entre le 7 avril -  25 mai qui a entrainé, depuis lors, une forte baisse de la consommation et de la production, alors que celles-ci avaient plutôt bien résisté jusqu'à la clôture fiscale (fin mars).

1. La consommation marque le pas mais les ventes de détail progressent depuis la fin de l'état d’urgence.

En lien avec les mesures de distanciation sociale, la consommation a fortement décliné au T2, de -8,2% g.t, expliquant environ 60% de la baisse du PIB. Les données de juillet n’ont pas encore été publiées mais les ventes de détail de juin affichent un 1errebond notable de +13,1% en rythme mensuel. Cette évolution s’explique par la fin de l’état d’urgence, le 25 mai, qui a permis le retour progressif des Japonais dans les magasins et centres commerciaux (ventes en baisse entre -18% et-20% dans les « department stores» en juin et juillet –données préliminaires-, contre -64% en mai). Pour autant, la hausse récente des cas de Covid-19 (quasi triplement entre fin juin et fin août) et dans une moindre mesure, une saison des pluies inhabituellement longue, pourraient avoir limité à nouveau les déplacements, pesant sur la consommation et, partant, sur les espoirs d'une reprise stable de l’économie. Pour mémoire, la consommation est, de loin, la 1ère composante du PIB, à hauteur de 54%. En outre, l’aide gouvernementale d’environ 800 euros attribuée chaque résident à partir de fin mai pourrait également stimuler la consommation, bien que certaines enquêtes affichent plutôt des comportements d'épargne "ricardienne" (épargne de précaution face à l’anticipation de la dégradation des finances publiques).

2. Les exportations continuent de se contracter mais à un rythme moindre.

Le Japon a beaucoup souffert de la chute de ses exportations au T2 (-18% g.t), qui explique ~40% de la baisse du PIB. Les dernières statistiques montrent néanmoins une légère amélioration du solde commercialen juillet, avec le 1erexcédent en 4 mois (+0,1 Md USD). Cet excédent reste cependant dû à une baisse plus marquée des importations (-22% g.a) que des exportations (-19%). De fait, certains économistes, comme Nomura, ne croient pas en une reprise durable du commerce au T3 du fait de la disparité des situations sanitaires entre les pays. Si les échanges semblent s’être normalisés avec la Chine (exportations en hausse de 8% en juillet), c'est encore loin d’être le cas avec les Etats-Unis (-25%) ou l’UE (-28%, dont -29% vers la France). Du côté des services, un rebond des recettes touristiquesest peu probable tant que les restrictions restent en place (99% de touristes en moins depuis avril) tandis que l’exclusion de Tokyo de la campagne de promotion interne « Go To Travel», lancée fin juillet, ne devrait pas aider à la reprise du tourisme domestique en été -pourtant marqué par la période «O-bon» (anniversaire des morts) où les citadins retournent traditionnellement dans leur région natale.

3. Les entreprises restent prudentes sur le niveau de leurs investissements.

L’investissement privé et la consommation publique, qui représentent à eux deux 46% du PIB, ont moins souffert que prévu au T2. L’investissement a baissé de «seulement» -0,7% (g.t), porté par des investissements déjà programmées – par exemple, l’amélioration des infrastructures face aux catastrophes naturelles, prévue dans les précédents budgets nationaux. Le sondage « Tankan» du mois d’août révèle que les industriels japonais restent néanmoins prudents sur leurs perspectives de développement, craignant un effet temporaire du rebond de la demande observé depuis la fin de l’état d’urgence. Ce résultat est confirmé par la quasi-stagnation des indices PMI du mois d’août, qui se situent toujours en-dessous du seuil de contraction de 50 (45,6 dans le secteur manufacturier, 45 dans les services contre des points bas respectivement à 38,4 en mai et 21,5 en avril). En outre, une étude du Nikkei révèle que les résultats nets des entreprises cotées pourraient fondre de -36% sur l’année fiscale 2020, ce qui ne les incite guère à la prise de risque. Selon les derniers chiffres des commandes de machines - indicateur des investissements privés à moyen-terme -, les producteurs s’attendent à un déclin de leurs commandes de -1,9% sur le T3, alors qu’elles avaient déjà décliné de -12,9% au T2.

Annexes

Annexe 1 – Décomposition et évolution du PIB depuis 2014 (source : DG Trésor)

Contributions PIB

Annexe 2 – Évolution du nombre de cas de Covid-19 (source : SMBC Nikko, Ministère de la santé japonais)

Evolution sanitaire

Les informations présentées dans ce point d'actualité sont identifiées par le SER de Tokyo. Elles n'ont aucune vocation d'exhaustivité. L'illustration de l'article est extraite du site Pixabay.

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