Les mesures de confinement volontaire et le ralentissement de l’activité économique ont des conséquences limitées sur la consommation d’énergie au Japon. Les énergéticiens concentrent leurs efforts sur la continuité du service. Les questions débattues entre ministères compétents (coût comparé des différentes énergies, dépendance aux énergies importées, risques liés aux systèmes centralisés…) pourraient trouver, suite à la crise sanitaire, un nouvel écho dans le cadre de la révision prévue en 2021 de la stratégie énergétique nationale. Le Ministre de l’environnement a d’ores et déjà pris position en faveur d’une relance économique bas-carbone – sans que le ministère en charge de l’économique, de l’industrie et de l’énergie ne se soit encore prononcé sur le sujet.

Un impact modéré sur les consommations et l'industrie de l'énergie à ce stade

On constate un impact modéré sur la consommation électrique (-8% à -10%), la hausse de consommation des ménages confinés et en télétravail compensant en partie les baisses dans l’industrie et le tertiaire. Cette baisse limitée, qui était anticipée dès mi-mars par l’Institute of Energy Economics of Japan - IEEJ (voir annexe 1), est confirmée par l’analyse des données de l’opérateur TEPCO, qui couvre notamment la région de Tokyo, dont le profil de puissance appelée de janvier à avril 2020 est très proche de celui de la même période en 2019 (voir annexe 2). La baisse de consommation liée à la pandémie est d’autant moins flagrante que les températures de l’hiver 2020 sont les plus douces constatées depuis 1947 - phénomène qui à lui seul pourrait expliquer des baisses sensibles de consommations dans le résidentiel et le tertiaire. Dans l’industrie, la baisse de consommation de gaz se situe entre -10% et -30% selon les secteurs et les régions ; Tokyo et Osaka sont davantage touchées car elles concentrent une large part des activités et étaient incluses dans la déclaration d’état d’urgence dès le 7 avril.

TEPCO - Comparaison des appels horaires de puissance 2019 et 2020 - Janvier à avril

Sur le court terme, les énergéticiens apparaissent donc assez peu touchés et travaillent essentiellement à la continuité des services essentiels. La forte baisse du coût d’approvisionnement en énergies fossiles, conjuguée à une baisse modérée des consommations, place les fournisseurs d’énergie japonais dans une position relativement confortable, comparativement à d’autres secteurs des infrastructures essentielles, comme le transport aérien où la demande a énormément chuté sans que les coûts ne puissent être diminués autrement que par la mise en chômage partiel des employés. A partir de début avril, les fournisseurs d’énergie ont commencé à communiquer sur la continuité de leurs activités. JERA (fournisseur de combustibles et opérateur de centrales thermiques), Tokyo Gas ou Kansai EPCO, par exemple, ont présenté les mesures mises en place pour assurer le fonctionnement de leurs centrales – principalement par réorganisation des équipes. Mi-avril, l’industriel Toshiba, dont le large champ d’activités inclut notamment la production et la maintenance de systèmes pour centrales électriques, a fermé toutes ses installations au Japon jusqu’à début mai, à l’exception des sites liés aux services de base et infrastructures nécessaires au pays, dont les activités liées aux centrales électriques.

Dans le nucléaire, si aucun risque d’interruption n’a été signalé publiquement, les travaux de mise aux normes de sûreté anti-attentats d’une centrale nucléaire ont tout de même été interrompus par l’entreprise de BTP Obayashi le 17 avril et pour une durée indéterminée, suite à l’identification d’un cas de COVID-19 parmi les employés du chantier. L’exploitation de cette centrale de Kyushu EPCO n’est pas suspendue mais si les travaux ne sont pas achevés avant l’été 2022, l’autorité de sûreté nucléaire pourrait demander une mise à l’arrêt des réacteurs. Cette question pourrait s’élargir à d’autres centrales engagées dans des travaux de génie civil, dans la mesure où de plus en plus d’entreprises du secteur du BTP annoncent des suspensions de leurs chantiers.

Fin avril a été évoquée dans la presse la question de l’approvisionnement du Japon en gaz. Le pays dépend fortement des importations de gaz naturel (23,4% du mix énergétique, 39,5% du mix électrique), dont le stock conservé au Japon ne peut pas excéder 2 semaines. Le pays pourrait se trouver en difficulté en cas d’interruption du transport maritime de gaz naturel liquéfié. Aucun risque immédiat n’est signalé mais les acteurs comme JERA commencent à prendre des mesures préventives, là encore essentiellement sur l’organisation interne des équipes.

Dès le milieu du mois de mars, le gouvernement a annoncé l’octroi d’un délai supplémentaire d’un mois pour le paiement des factures d’électricité et de gaz. Fin mars, le gouvernement a indiqué que ce délai pourrait être étendu par les compagnies d’énergie, ce qu’elles ont annoncé fin avril avec une extension à deux mois. Certaines collectivités, comme Tokyo, ont par ailleurs étendu la mesure aux factures d’eau. Les mesures générales de soutien économique aux particuliers et PME (prime exceptionnelle pour tous les particuliers, subventions pour les PME, etc.) devraient également permettre, in fine, le paiement des factures d’énergie.

A plus long terme, une évolution possible de la politique énergétique japonaise, objet de critiques

Sur le plus long terme, se pose la question de l’impact de cette crise sur la politique énergétique du Japon. Suite à la publication fin mars 2020 d’une contribution nationale à l’Accord de Paris très critiquée, le pays est attendu en 2021 sur la révision annoncée de son mix énergétique ciblé pour 2030, actuellement composé à 76% d’énergies fossiles, dont 25% de charbon. La baisse du coût du pétrole pourrait rendre plus difficile l’augmentation de la part des énergies décarbonées.

La crise fait également apparaître la fragilité d’un modèle énergétique reposant en grande partie sur les importations. Les énergies renouvelables, majoritairement locales, pourraient être vues comme un moyen de renforcer l’indépendance énergétique du Japon et sa résilience face à des crises mondiales. Le lien entre relance économique et société bas carbone reste toutefois encore assez discret au Japon : seul le Ministre de l’environnement l’a évoqué, alertant le 22 avril sur les risques d’une priorité inconditionnelle qui serait donnée à la reprise économique en négligeant l'environnement. A ce titre, le MOE a demandé, dans son budget supplémentaire spécifique COVID-19, des mesures pour la société bas-carbone et les énergies renouvelables. De son côté, le METI, en position de force sur les choix énergétiques du pays, n’établit toutefois à ce stade dans ses demandes de budgets aucun lien entre relance, énergie et « décarbonation ».

L’évolution des comportements des entreprises et des ménages pourrait avoir des conséquences sur les besoins des différentes sources d’énergie. L’accélération de l’adoption des services numériques développés en substitution à certains déplacements (télétravail, achats en ligne, vidéoconférences, télémédecine etc.) pourrait ainsi entraîner une diminution des besoins en pétrole (actuellement ciblé à 33% du mix 2030) et une augmentation des consommations électriques, selon les estimations de l’IEEJ. L’augmentation du temps passé à domicile pourrait favoriser l’émergence de services liés à l’autoconsommation et aux systèmes énergétiques renouvelables décentralisés, sur le modèle des startups Enechange et Looop à Tokyo. Par ailleurs, si la baisse de la demande en gaz naturel s’inscrit dans la durée au Japon - qui représente près de 30% de la demande mondiale - les cours mondiaux pourraient être orientés à la baisse. Enfin, la stratégie de sécurisation des chaînes d’approvisionnement du 3ème plan d’urgence économique pourrait conduire à relocaliser au Japon une partie de la production de composants et systèmes énergétiques (notamment pour les énergies renouvelables).