La situation du secteur japonais du transport aérien se dégrade fortement depuis début mars. Les dernières estimations portent à 2000 milliards de yen les possibles pertes des compagnies aériennes sur 2020. Chaque semaine, ANA et JAL annoncent de nouvelles suspensions de vols, internationaux comme domestiques. Les principaux aéroports sont également très touchés. En réponse, le gouvernement a introduit dans le 3ème plan de mesures économiques des dispositions spécifiques au secteur aérien.

NB : Les informations fournies dans cette note correspondent à la situation connue à la date du 14 avril 2020. Sources diverses (presse japonaise, entreprises, administration japonaise).

Impact de la pandémie sur le transport aérien et l’industrie aéronautique au Japon

Jusqu’à 2000 milliards de yen de pertes sur 2020 pour les compagnies japonaises ? Depuis début mars, l’association japonaise des compagnies aériennes revoit à la hausse sa prévision de pertes de revenus des compagnies japonaises, d’abord estimée à 300 milliards de yen, puis 400, pour s’établir à 500 milliards de yen selon les dernières estimations, pour la période de février à mai – à condition d’un retour à la normale à partir de juin. Le journal économique Nikkei estime que la perte totale sur 2020 sera de l’ordre de 1000 milliards de yen, tandis qu’ANA Holdings évalue, début avril, le montant total à 2000 milliards de yen sur l’année 2020, un chiffre basé sur le constat de l’augmentation des restrictions de voyage depuis/vers le Japon.

Hall de départ vide dans un aéroport japonais en mars 2020Les deux principales compagnies japonaises, JAL et ANA, ont suspendu graduellement, depuis mars, la majeure partie de leurs services internationaux, et une part croissante de leurs vols domestiques. Mi-avril, ANA annonce la suspension de 90% de ses vols internationaux sur la période du 25 avril au 15 mai (soit 3323 vols), un taux qui monte à 94% pour JAL sur la période du 1er au 31 mai (4568 vols). Sur mai 2020, JAL et ANA enregistrent -70% de réservations par rapport à 2019. Au total, sur la 1ère semaine d’avril, le nombre total de vols internationaux desservant le Japon (tous pavillons confondus) représentait seulement 8% du trafic d’avril 2019. Sur le segment domestique, le taux d’annulation augmente d’environ 10% par semaine depuis fin mars. Sur avril, ANA n’opère plus que 60% de son programme domestique normal ; pour JAL, sur la semaine du 12 au 19 avril, 50% du programme initial est réalisé.

Au plan financier, les conséquences se font plus pressantes pour ANA, beaucoup plus endettée que JAL qui avait été contrainte d’assainir ses comptes et limiter ses investissements après sa faillite en 2010. ANA entre ainsi dans cette crise avec une dette de 848 milliards de yen (JAL : 156 milliards de yen), et des coûts fixes annuels de 880 milliards de yen (JAL : 487 milliards de yen). Début avril, ANA communiquait son intention d’emprunter 1300 milliards de yen (1000 milliards auprès de la Development Bank of Japan et 300 milliards auprès des banques privées) et de demander une garantie d’emprunt par l’Etat. Les compagnies plus petites sont également touchées : JAL a reporté le lancement de sa filiale low-cost Zip Air Tokyo, dont le premier vol (Narita-Bangkok) était prévu le 14 mai, et Peach Aviation (filiale low-cost d’ANA) a suspendu plus de 50% de ses vols domestiques et 100% de ses vols internationaux en avril-mai. Skymark a annoncé le report de son entrée en bourse qui était prévue au 1er semestre 2020.

Avions au sol dans un aéroport au JaponLes aéroports japonais enregistrent des chutes record de fréquentation. Sur l’international, les chutes les plus importantes ont été constatées en mars : sur la dernière semaine de mars, les aéroports n’accueillaient plus que 30% du trafic international de début mars. Le nombre d’avions restant au sol augmentant, la question de l’aménagement de zones de parking supplémentaires a commencé à émerger. A Osaka, Kansai International Airport indiquait que sur la 1ère semaine d’avril, le nombre de vols internationaux avait chuté d’au moins 95% par rapport à 2019. Au total, l’aéroport accueilli 230000 personnes en mars 2020 (étrangers : -93% ; Japonais : -83%). A Nagoya, l’aéroport Centrair n’accueille plus aucun vol international depuis le 1er avril, une première depuis son ouverture en 2005. Début mats, il accueillait encore 260 vols par semaine. A Hokkaido, les arrivées de visiteurs étrangers par l’aéroport New Chitose ont diminué de 98%, tandis que les départs de voyageurs japonais ont chuté de 92%. A Tokyo Narita, le trafic de la 1ère semaine d’avril 2020 ne représentait plus que 17% de celui d’avril 2019. Sur l’international, la chute sur mars était de 42%, avec environ 4000 vols accueillis, et de 88% sur la 1ère semaine d’avril. En conséquence, l’aéroport a décidé le 12 avril de fermer temporairement une de ses deux pistes et de placer 1000 employés en congé temporaire. Dans le même temps, l’aéroport est confronté à la saturation de sa capacité de tests en service de quarantaine. A Tokyo Haneda, la chute du trafic international sur mars s’établit à 46% par rapport à mars 2019 (1800 vols accueillis) et atteint 81% sur la 1ère semaine d’avril. L’agrandissement du terminal 2, inauguré le 29 mars et représentant un investissement de 62 milliards de yen, est fermé depuis le 11 avril.

L’association nationale SJAC indiquait fin mars que la situation n’avait pas encore d’impact fort sur l’industrie aéronautique, mais que les situations difficiles surviendraient lorsque les équipementiers commenceraient à revoir leurs plannings pour les avions et moteurs. Des échanges avec les PME aéronautiques de la région de Nagoya laisse apparaître une situation plus critique, liée à la pandémie mais aussi aux ralentissements des programmes Boeing qui avaient déjà fortement affecté l’écosystème. La crise entraîne également des ralentissements du programme Mitsubishi Space Jet ou encore le report d’au moins 6 mois de la livraison du 3ème Airbus A380 commandé par ANA en 2016, initialement prévue en avril 2020.

Mesures de soutien mises en place par le gouvernement et d’autres acteurs

Les mesures demandées par le secteur. Dès début mars, l’association des compagnies aériennes a formulé plusieurs demandes auprès du MLIT : exonération des taxes sur le carburant et d’utilisation des aéroports, assouplissement des règles de subventions à l’emploi, des règles sur l’usage des slots aéroportuaires... Début avril, l’association a ajouté une demande de garantie par l’Etat des emprunts contractés auprès des banques. Au total, la valeur des mesures demandées représentait près de 2000 milliards de yen. Début avril, les aéroports privés ou concédés comme Narita, Kansai Airports, Centrair et Sendai se sont à leur tour tournés vers le MLIT pour obtenir un soutien.

Shinzo Abe lors de discussions sur les mesures de soutien économiqueLes mesures envisagées ou accordées par le gouvernement. Mi-mars, le gouvernement a annoncé la suspension de la règle « Use it or lose it » relative à l’usage des slots aéroportuaires, au bénéfice des compagnies de tous pavillons sous condition de réciprocité. Le 1er avril, le Premier ministre a clairement affirmé son soutien aux compagnies aériennes, indiquant que les voies aériennes sont des infrastructures fondamentales de l’économie du pays, et qu’il n’est pas acceptable qu’elles soient endommagées. Cette annonce a été suivie le 7 avril, dans le cadre du 3ème plan de mesures économiques, de mesures pour le secteur aérien : (1) accès pour les compagnies à un prêt d’urgence de la Development Bank of Japan, non plafonné (2) délais supplémentaires pour le paiement des taxes aéroportuaires. D’autres mesures restent à l’étude : délais pour le paiement des taxes sur le carburant, modification des tarifs de contrôle aérien… Les programmes de soutien prévus pour la relance de l’industrie touristique pourront aussi bénéficier au secteur aérien. Le ministère de l’industrie (METI) indiquait cependant fin mars ne pas prévoir de mesures spécifiques pour l’industrie aéronautique, qui pourrait bénéficier des mesures générales des plans de soutien économique.

Les compagnies et les aéroports cherchent également des solutions pour réduire les effets de la crise. Début avril, ANA a annoncé des mesures de réduction de ses coûts de maintenance et de personnel, avec un accord conclu avec les syndicats pour la mise en chômage partiel (3-5 jours par mois) de 6400 personnels de cabine (soit 70% de l’effectif) pour une durée d’un an. De son côté, JAL souhaite profiter de la disponibilité actuelle de ses employés pour organiser des formations pour renforcer la compétitivité de l’entreprise après la crise. Plus symboliquement, JAL et ANA invitent leurs cadres de haut niveau à restituer, sur la base du volontariat, 10% de leurs indemnités. Quelques signes montrent des rapprochements symboliques entre JAL et ANA : vols domestiques annulés par JAL opérés par ANA, amorce de discussions pour des collaborations dans le domaine de l’entretien des avions. Côté aéroportuaire, malgré ses propres difficultés, Narita se mobilise également pour soutenir ses clients – compagnies aériennes et entreprises locataires. Annoncée fin mars, une aide de 10 milliards de yen prendra ainsi la forme de réduction des frais de location des espaces (bureaux, comptoirs, ponts d’embarquement, etc.) et de délais supplémentaires pour le paiement des redevances d’atterrissage/décollage et frais de stationnement. Ces montants sont à comparer à l’aide de 1,5 milliards de yen accordée suite aux attentats du 11-Septembre.