Deuxième table ronde internationale sur la blockchain organisée par le régulateur financier japonais
Annonce d’un durcissement de la réglementation japonaise sur les crypto actifs au moment où le marché connaît un regain d’intérêt suite à l’annonce du lancement du Libra. Prudence sur le projet Libra de Facebook.
Le pôle ECOFIN du Service Economique Régional a participé le 6 septembre 2019 à la 2ème table ronde internationale de l’année organisée à Tokyo sur la « blockchain » sous l’égide du régulateur financier, la Japanese Financial Service Agency (JFSA). De nombreux régulateurs, banques centrales et organisations internationales (IOSCO, FSB, FMI, Commission Européenne) ont participé à des échanges nourris, dont on retiendra les éléments suivants :
Le marché des crypto actifs a connu un récent regain d’intérêt suite à l’annonce du lancement du Libra.
Le marché des cryptoactifs avait connu une sévère correction en 2018, représentant au plus bas 140 Milliards US$ de capitalisation après un plus haut atteint en janvier 2018 à 800 milliards US$. Ce phénomène avait été concomitant avec la baisse des cours et la perte de confiance des investisseurs suite à plusieurs vols opérés sur les plateformes d’échanges et de conservation, en particulier au Japon.
Or, depuis la fin du printemps 2019, le marché des crypto connait un nouvel essor, tant en volume qu’en valeur. Très clairement, l’annonce par Facebook du lancement du Libra a dopé le marché, le bitcoin retrouvant pour la 1ère fois fin juin 2019 des cours de mars 2018. Selon les spécialistes, ce rebond du marché est principalement dû au regain d’intérêt global pour la technologie qui sous-tend les cryptoactifs. Cela étant, la volatilité du marché n’en demeure pas moins très élevée, jusqu’à 15% dans une journée, à la hausse comme à la baisse.
Le séminaire a également été l’occasion de commenter certaines tendances de fonds sur les volumes et les prix (renvoyant notamment au site « www.coinmarketcap.com ») dont l’accroissement des volumes sur les stables coins (crypto actifs adossé à un actif) comme le Thether (adossé principalement au dollar), et les monnaies locales.
En réponse aux déboires subis en 2018, le Japon a annoncé le durcissement de sa réglementation sur les crypto actifs et les plateformes d’échange et de conservation, en cohérence avec les avancées du G20.
Le Japon a été un pays précurseur en matière de crypto actifs. Il a reconnu le bitcoin et d’autres « cryptomonnaies » comme moyens de paiement légaux au printemps 2017, au moment même où la Chine décidait d’interdire les plateformes d’échanges de crypto actifs. La législation japonaise a donc favorisé la naissance d’un écosytème nippon destiné à répondre à une phase d’engouement japonais et asiatique. La JFSA confirme que 3,5 millions de comptes avaient été ouverts sur les quelques 20 plateformes japonaises d’échange.
En 2018, le Japon a subi 2 attaques de grande ampleur (attaque des plateformes Coincheck et Zaif) qui ont engendré des vols sur les portefeuilles électroniques des investisseurs (wallets) pour une valeur de 600 millions d’USD. Il a dès lors durci sa posture en annonçant un amendement de sa législation sur les crypto-actifs, dont l'entrée en vigueur n'est prévue qu'en juin 2020 pour permettre aux plateformes de s’adapter. Par rapport au Japon, bientôt, et, d'ores et déjà, à la Thaïlande, la plupart des autres réglementations nationales apparaissent plus souples (notamment en Australie, Grande Bretagne, Suisse, à Singapour, Hong Kong).
A compter de 2020, la législation japonaise ne reconnaîtra plus le terme de crypto-monnaie mais fera uniquement référence à la notion de crypto-actifs, pour accentuer les risques qui y sont attachés. Les contrôles seront renforcés en matière de traçabilité du client (obligation d’appliquer les mesures Know Your Customer à l’ouverture d’un compte) et d’information sur les risques liés à l’investissement dans des crypto-actifs (application de mesures de surveillance strictes similaires aux courtiers en valeurs mobilières pour la protection des investisseurs). Les prestataires de service sur actifs numériques (plateformes d’échanges et de conservation des cryptoactifs) feront l’objet d’une réglementation renforcée (procédure de contrôle interne renforcé, système informatique résilient, effet de levier limité en fonction du dépôt initial). Cette nouvelle réglementation est également l’occasion de créer un cadre officiel pour les ICO (Initial Coin Offering ou levée de fonds par émission de jetons), avec enregistrement obligatoire pour les émetteurs.
Pour mémoire, la présidence japonaise avait fait du traitement des crypto actifs l’une des priorités du G20. L’objectif était de favoriser l’innovation financière tout en limitant les risques liés à ces nouvelles technologies, en particulier en termes de protection des investisseurs et d’intégrité de marché. Le communiqué du Sommet du G20 à Osaka avait témoigné d’une vision commune : les crypto actifs ne présentent pas actuellement de menace immédiate sur la stabilité financière mondiale (compte tenu de leur faible développement) mais les autorités financières doivent rester vigilantes en particulier en matière de protection des investisseurs, de risques de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Face à une technologie décentralisée, une coopération internationale est nécessaire. A titre d’illustration le GAFI a demandé à ses membres fin juin 2019 d’enregistrer et contrôler les plateformes crypto afin d’empêcher les activités illégales et criminelles.
Les participants au séminaire ont émis des avis prudents sur le Libra.
De l’avis général exprimé, le Libra pourrait avoir un impact significatif sur le paiement de proximité (retail payment) et les systèmes de paiement de gros montant. Si les opportunités sont évidentes pour les consommateurs pour les transferts frontaliers, de nombreuses interrogations demeurent au regard de la souveraineté monétaire, l’utilisation à grande échelle de la blockchain, la protection des données, la décomposition du panier d’actifs adossé au Libra et le taux de couverture associé aux volumes échangés.
Plusieurs participants ont également souligné le caractère disruptif des innovations financières, et l’adaptation nécessaire des banques à une désintermédiation croissante, tout en exprimant leurs inquiétudes d’un risque jugé systémique de perte de dépôt par les banques si Facebook venait à proposer des solutions d’épargne.
Certains régulateurs ont toutefois reconnu que le Libra utiliserait une technologie moins décentralisée que les autres crypto actifs : si le Bitcoin a bâti sa réputation sur un écosystème décentralisé d’ordinateurs à travers le monde, le Libra devrait reposer sur un nombre réduit d’acteurs autorisant une mise en œuvre facilitée de la réglementation.
L’impopularité du Libra au Japon a été rappelée, avec un taux de défiance de la population estimé à 43% par le courtier Monex Inc (29% sans avis, 17% favorable et 11% qui ne connaissent pas). Les Japonais restent clairement méfiants suite aux vols opérés en 2018 sur les crypto actifs et à 40% inquiets quant à l’utilisation par Facebook de leurs données personnelles.