Analyse des indicateurs de l’OCDE sur la situation économique et sociale du Japon en termes d’inégalités.

Le Japon est caractérisé par d’importantes inégalités en termes de revenu et d’un taux de pauvreté relativement élevé en raison de la grande part d’emplois non-réguliers dans l’économie. La résorption des inégalités de revenus, inégalités de genre, inégalités intergénérationnelles, et inégalités territoriales est ralentie par la persistance de déséquilibres d’ordre structurel. À la source de ces inégalités, une culture du travail basée sur l’ancienneté, des discriminations à l’encontre des femmes, un vieillissement rapide de la population, et un pays très centralisé autour de Tokyo. Les résultats des Abenomics restent limités face à l’ampleur des défis auxquels le Japon fait face.

I. Des inégalités de revenu amplifiées sous l’effet de la dualité du marché du travail
1. Des indicateurs économiques contradictoires pour le Japon

Le Japon est la 3ème économie du monde derrière les Etats-Unis et la Chine (PIB  Japon 2018 : 4 972 Mds US$). L’archipel enregistre de bons résultats en termes de salaires moyens, du taux d’épargne et de chômage (2,4%), se positionnant largement au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE. Cependant, il présente un taux de pauvreté (proportion de personnes dont le revenu est inférieur à la moitié du revenu médian de la population totale) très élevé par rapport à sa richesse, et nettement supérieur à celui de la France (16,1% contre 8,5%, tous âges confondus), soit 1 Japonais sur 6. Le calcul du coefficient de Gini en 2016 indique que les inégalités de revenu sont légèrement plus marquées au Japon (0,34), qu’en France (0,29), la moyenne des pays de l’OCDE se situant entre les deux (0,32). La fréquence des bas salaires au Japon (12,3%) se situe en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE (15,8%), mais elle est plus élevée qu’en France (9,1%). Ces données se rapportent toutefois aux salariés à plein temps et ne prennent pas en compte les salariés non-réguliers.

2. Un recours massif à l’emploi non-régulier source d’inégalités

Durant la période de récession économique qui a suivi l’éclatement de la bulle en 1991, le recours à l’emploi non-réguliers (travailleurs à temps-partiel, contractuels et intérimaires) s’est répandu parmi les Japonais. Perçu comme source de main d’œuvre bon marché et pour pallier à la rigidité de l’« emploi à vie », le taux de travailleurs non-réguliers au Japon est passé de 20% en 1994 à 38% en 2018. Ce type d’emploi rémunère entre 12% et 57% moins qu’un salaire régulier. Selon l’OCDE, cette dualité du marché du travail est l’un des facteurs principaux contribuant à l’augmentation des inégalités de revenu au Japon, ainsi qu’à la précarisation de travailleurs concernés qui ne bénéficient pas d’une sécurité de l’emploi.

II. Des inégalités concentrées dans certaines sections de la population
1. Une disparité persistante entre les sexes

L’écart salarial hommes-femmes chez les salariés peine encore à se résorber: il est en 2017 presque 2,5 fois plus élevé au Japon (24,5 %) qu’en France (9,9 %), ce qui positionne l’archipel en 3ème place parmi les pays de l’OCDE en termes d’inégalité, classé en outre 110ème/149 par le Forum économique mondial en 2018. Par ailleurs, le recours à l’emploi non-régulier au Japon se fait nettement plus ressentir chez les femmes, qui représentent 68% des travailleurs non-réguliers; 55% des femmes employées le sont sous contrat non-régulier, contre 22% des hommes. Cet écart s’explique notamment par les discriminations sur le plan de la maternité : c’est environ la moitié des femmes qui ne retournent pas sur le marché du travail après la naissance de leur 1er enfant. Dans ces conditions, de nombreuses femmes se trouvent contraintes à choisir entre leur carrière et une vie de famille. Bien que la situation ne soit pas satisfaisante, il convient de souligner une amélioration récente dans ce domaine : le nombre de femmes (25-34 ans) employées à plein temps a augmenté de 40 000 en 2017 par rapport à l'année précédente, tandis que le nombre de leurs homologues non-régulières a diminué de 30 000 (source : Nikkei). Enfin, les femmes sont largement sous-représentées dans les postes de direction comme en politique. En 2017, le Japon enregistre le score le plus bas dans ces deux catégories parmi les pays de l’OCDE : seulement 9,3% de femmes siègent à la Diète. De même, les disparités se font nettement sentir dans le domaine de l’éducation, où les femmes sont en surreprésentation dans les filières littéraires (65%), et en sous-représentation dans les filières scientifiques (seulement 27%). Le Japon se classe une fois de plus en bas de l’échelle des pays de l’OCDE en termes de proportion des femmes diplômées dans les domaines de l’ingénierie, l’industrie et la construction en 2016.

2. Des disparités intergénérationnelles

Depuis 2005, la population du Japon est sur le déclin. Avec un taux de fécondité se situant à 1,43 contre un taux de renouvellement naturel à 2,03, la population active y est en diminution, et le maintien de son PIB suppose une hausse importante de sa productivité et du taux d’emploi. Les pratiques de travail traditionnelles, telles que les salaires basés sur l'ancienneté et la retraite obligatoire à partir de 65 ans, ne sont pas adaptées à l'ère des centenaires. Le vieillissement de la population exerce également une pression à la hausse sur les dépenses sociales publiques, qui ont augmenté ces dernières années (22% du PIB, contre une moyenne de 20% parmi les pays de l’OCDE). Le Japon se distingue par une forte inégalité intergénérationnelle avec une « richesse médiane nette des plus de 65 ans » 15 fois supérieure à la « richesse médiane nette des moins de 35 ans » (10 en Allemagne, 8 en Italie). Malgré la richesse globale concentrée chez les seniors, selon l’OCDE le taux de pauvreté atteint dans cette tranche de la population un ratio de 0.196 contre 0.034 en France.

3. Des disparités régionales

Le Japon fait face à une concentration massive dans les régions urbaines (56% de la population contre 35% en France et 48% en moyenne pour les pays de l’OCDE) et une désertification des campagnes (12% de la population en milieu rural contre 17% en France et 25% pour l’OCDE). L’inégalité de la répartition du peuplement du Japon atteint des extrêmes spectaculaires : les espaces insulaires périphériques souffrent d’un dépeuplement et d’un vieillissement acérés, tandis que la mégalopole tokyoïte concentre à elle seule plus de 70% de la population et ¾ des richesses produites, avec un produit urbain brut équivalent à celui du PIB mexicain (Source : « Le Japon : les fragilités d’une puissance », ENS Lyon). Afin de réaménager dans l’espace la densité des villes japonaises, de reconstituer l’attractivité des centres-villes, et d’adapter l’offre de services comme le transport, le Ministère japonais du Territoire, des Infrastructures et des Transports tente de déployer depuis plus de 15 ans une politique «Compact City + Network », programme dont bénéficient une dizaine de villes.

III. En dépit du programme des Abenomics, le chemin restant à parcourir pour réduire les inégalités au Japon reste immense

Afin de répondre aux problèmes structurels du Japon, un vaste programme de réformes Abenomics a été lancé en 2013, dont la « Work Style Reform » et la « Révolution des ressources humaines ». L’Etat prévoit notamment le financement de la construction de crèches et le développement de l’offre de garde d’enfants, la gratuité de l’éducation à la maternelle à partir d’octobre 2019, ainsi que des subventions pour l’enseignement supérieur. Ces mesures devraient permettre aux femmes de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle, pour inciter les Japonais à avoir davantage d’enfants (cf « Womenomics » théorie en vogue examinant les liens entre l’avancement des femmes dans les entreprises et la société et l’accroissement des taux de développement). Le Premier ministre a également promis de résorber les inégalités de revenus entre employés réguliers et non-réguliers grâce au principe dit « equal pay for equal work ». Mais les entreprises japonaises peinent à répondre à l’appel et le salaire annuel moyen stagne aux alentours de 40 500 USD depuis dix ans. En effet, au cours des deux décennies ayant précédé la crise économique mondiale de 2007, le revenu réel disponible des ménages a augmenté en moyenne de 1,6% dans les pays de l’OCDE. À l’exception du Japon, tous les pays ont enregistré une hausse des revenus réels aux deux extrémités de l’échelle des revenus.