Parmi les dix risques mondiaux les plus probables identifiés en 2019 par le Forum économique mondial, sept sont liés à l’environnement et aux changements climatiques[1]. Si l’urgence est réelle, il est encore temps d’agir : le GIEC a publié fin 2018 un nouveau rapport dans lequel il indique qu’il est possible de limiter le réchauffement planétaire à +1,5 °C par rapport à la période préindustrielle, à la condition qu’un effort radical et systémique soit réalisé partout dans le monde et dès à présent. Les citoyens et citoyennes de France, d’Europe, du Japon et d’ailleurs en prennent progressivement conscience, et les actions individuelles et collectives, en particulier des jeunes, se multiplient.

© Dekiru, c’est possiblePar une série d’évènements et projections, l’Ambassade de France et l’Institut français du Japon ont souhaité mettre en lumière ces initiatives positives en France et au Japon, dans une dynamique résolument inscrite dans la lignée des Objectifs de Développement Durable de l’ONU. Après la Sustainability Night (mars 2018) couplant diffusion du film Demain et table ronde sur les visions franco-japonaises sur l’énergie et l’agriculture de demain, puis la soirée débat "Consom’acteurs, prod’acteurs : soyons le changement !" (novembre 2018), le projet se poursuit en 2019 avec la projection du documentaire Dekiru, c’est possible suivi de débats d’idées à Tokyo (3 avril), Kyoto (5 avril) et Fukuoka (6 avril).

Comme rappelé par l’Ambassadeur de France Laurent Pic en vidéo d’ouverture, les liens et coopérations existants et potentiels des acteurs à tous les échelons entre la France et la Japon en matière d’environnement et climat sont multiples. Se faisant porteur d’un message d’optimisme et de mobilisation, l’Ambassadeur a félicité l’initiative de la réalisation du documentaire Dekiru, c’est possible, illustrant la richesse des échanges intellectuels et inspirations mutuelles entre les sociétés civiles de nos deux pays.

Dekiru, c’est possible : un documentaire porteur d’espoir sur l’engagement au Japon

 Affiche de l'évènement Dekiru à TokyoDepuis le drame de Fukushima en mars 2011, les initiatives écologiques se multiplient au Japon. Entre permaculture, énergies renouvelables, développement durable, monnaies locales et vie en communauté, les Japonais passent à l’action pour faire avancer leur société et proposer de nouveaux modes de vie.

Jeune couple passionné du Japon et d'écologie, Mathilde Julien et Jonathan Carène ont décidé de tout quitter pour aller à la rencontre de ces acteurs du changement. À travers un voyage de 8 mois au pays du Soleil Levant, ils ont mené l’enquête au cœur de la communauté alternative et active nippone en traversant le pays à la découverte d’initiatives et de solutions locales.

À chaque rencontre, le même mot d’encouragement : DEKIRU, qui signifie « c’est possible ».

Le synopsis du film et son titre même donnent le ton de la soirée : prendre des initiatives concrètes en faveur de l’environnement ? Changer son mode de vie pour rendre la société plus durable ? Dekiru, c’est possible !

À travers de multiples exemples d’actions entreprises à l’échelle locale au Japon en faveur d’un mode de vie plus respectueux de l’humain et de l’environnement – de la forêt comestible Hamamatsu Transition Town, au village zéro déchet de Kamikatsu, en passant par l’école alternative Kusukoni Gakuen et l’entreprise sans patron As One Community – le film donne la parole à une diversité d’acteurs dont le même message se distingue en fil rouge : agir localement pour avoir un impact sur la société, c’est possible.

Un documentaire pour éveiller les consciences et susciter les débats

Dans les trois villes où il a été projeté, le documentaire a été suivi de débats d’idées très riches avec les réalisateurs, certains intervenants du film et des panélistes français et japonais extérieurs.

Panélistes à Tokyo - © IFJ-TokyoÀ Tokyo le 3 avril, Mathilde Julien et Jonathan Carène (réalisateurs), Isabelle Delannoy (théoricienne du modèle d’économie symbiotique), et deux intervenants dans le documentaire Kai Sawyer (fondateur de Tokyo Urban Permaculture) et Jun Omura (représentant de Permaculture DesignLab) ont ainsi répondu aux questions de la modératrice Yukiko Motomura (directrice du département sciences et environnement du journal Mainichi) et du public présent en nombre à l’Institut français du Japon - Tokyo (salle de 100 personnes comble). 

À Kyoto le 5 avril, les réalisateurs et Isabelle Delannoy ont dialogué avec Tetra Tanizaki, président de l’ONG WorldShift Network Japan, et Harumi Ono (intervenant dans le documentaire) qui, après avoir fait un voyage dans de nombreux pays, a décidé de s’installer à la campagne dans le village de Shimokitayama. La salle de l’INF – Kansai était comble (90 personnes). À Fukuoka le 6 avril, la salle Ajibi Hall (80 places) était presque comble. Les réalisateurs et Isabelle Delannoy ont dialogué avec Kazunari Taguchi, fondateur de la plateforme d’innovation sociale Borderless Japan, et Yuiko Taira,  administratrice générale de Local Food Cycling Japan.

Interrogés sur leur expérience au cours de ces débats, les réalisateurs ont souligné qu’un élément ayant motivé leur désir de transformer une simple aventure de WWOOFing au Japon en websérie puis documentaire fut leur surprise de découvrir le manque de contenu et média ludiques sur la transition dans ce pays. Au fil de leurs rencontres, l’envie a grandi chez eux d’apporter leur pierre à l’édifice en se faisant porte-voix de ces initiatives, qui fleurissent un peu partout dans le pays mais restent peu connues des Tokyoïtes.

À Tokyo, les spectateurs (public comme panélistes) ont félicité les réalisateurs, appréciant la vue d’ensemble que le documentaire permettait de construire d’un écosystème naissant de part et d’autre du Japon. La métaphore de pièces d’un même puzzle rassemblées évoquée dans le film a ainsi été reprise de multiples fois.

Isabelle Delannoy a par ailleurs souligné avoir apprécié l’esthétique japonaise (lien au vivant, sens de la communauté, pensée modulaire, etc.) apportée à des actions que l’on voit aussi éclore en France et ailleurs. La redondance au cours du film des thématiques du plaisir et de la joie que la création, la mise en commun et la symbiose permettent de susciter a également été un commentaire fédérateur dans l’assistance.

Si de nombreux obstacles ont dû être surmontés au cours de la réalisation du documentaire – qui n’est à ce stade financé que par donations et cherche encore son distributeur –, les retours positifs des spectateurs présents à la projection de Tokyo (première diffusion du film dans son intégralité) ont souligné l’intérêt de l’initiative et sont de bon augure pour une diffusion élargie tant au Japon qu’en France. Par ailleurs, les interventions d’Isabelle Delannoy (ayant également donné une conférence co-organisée avec Japan Innovation Network le 2 avril à Tokyo) ont séduit traducteurs et panélistes japonais, un présage positif pour la publication de son livre sur l’économie symbiotique dans l’archipel.  

Au-delà des exemples pratiques, des interrogations sur l’avenir de nos sociétés

En toile de fond du film et des débats sont ressorties des interrogations plus profondes sur le devenir de nos sociétés hyper-productrices et consuméristes, et de la planète que nous laisserons à nos enfants. L’urgence du changement a ainsi été rappelée : à Kyoto, Tetra Tanizaki a cité une étude menée conjointement par l’Université de Tokyo et Hitachi avec l’aide d’une intelligence artificielle, montrant que seuls 23 des 20000 scénarios pour le futur envisagés permettaient la survie de l’humanité. Il a insisté sur le fait que, selon les chercheurs, un changement de paradigme doit avoir lieu dans les 5 à 8 prochaines années, sous peine d’extinction de l’espèce humaine.

économie symbiotiqueLe ton était toutefois positif, et Isabelle Delannoy a souligné que la création d’une économie symbiotique n’entrait pas, dans son essence, en conflit avec l’économie capitaliste telle qu’on la connaît et l’enseigne actuellement. De fait, une économie symbiotique – une économie de la réappropriation des savoir-faire liés à la compréhension des écosystèmes, de la valorisation des liens, basée sur la mutualisation, le co-investissement et le passage d’une société de possession à une société d’accès – reste une économie d’abondance et de croissance, mais une croissance qui régénère les écosystèmes au lieu de les détruire. Si le système actuel va rapidement atteindre ses limites, il ne s’agit pas d’enclencher une révolution mais une métamorphose.

La permaculture, au cœur des thématiques traitées par le film et les intervenants, a également fait l’objet de nombreuses remarques au cours du débat à Tokyo. Jun Omura l’a ainsi définie comme un mode de vie plus durable, comme l’intégration de phénomènes naturels dans la vie quotidienne, comme le moyen de développer des liens de qualité au sein d’une communauté. Kai Sawyer l’a quant à lui qualifiée de voie par laquelle concevoir un monde dans lequel la beauté puisse se déployer, de système permettant de régénérer le lien social, de s’aider les uns les autres à (réapprendre à) vivre et reprendre confiance en soi. Comme rappelé par une intervenante du public de Kyoto, la permaculture revêt toutefois toujours, pour l’heure, un enjeu politique alors que les réglementations dans la plupart des pays rendent la transition très difficile, empêchant par exemple l’installation des toilettes sèches, yourtes, etc.

La question de la création de contenus, de la diffusion et de la communication autour de ces concepts a été soulevée à plusieurs reprises. Si la technologie d’aujourd’hui a été accusée de nous séparer du vivant, et si la concevoir comme solution aux problématiques environnementales – position fréquemment mise en avant par le gouvernement et les industriels japonais – a paru utopiste voire insensé aux panélistes, Mathilde Julien a souligné son intérêt pour faire connaître et transmettre les bonnes pratiques en matière environnementale. Selon Jonathan Carène, le « high tech » a aujourd’hui atteint un très haut niveau et il conviendrait désormais de développer la « low tech », les techniques de connaissance du vivant dans sa complexité, afin d’optimiser les infrastructures tout en régénérant la nature et les écosystèmes. Les panélistes ont ainsi distingué les technologies de la communication, au service des liens entre les hommes, de celles qui visent à dominer la nature et qui portent en elles les risques d’une perte de contrôle – un danger illustré, pour Kai Sawyer, par la catastrophe de Fukushima. Au-delà de la communication, la thématique de l’éducation a également été évoquée, grâce à l’intervention d’un lycéen du public à Fukuoka.

Malgré les différences culturelles et certaines lenteurs de la société japonaise – aggravées selon Jonathan Carène par le manque de communication interpersonnelle, les inégalités hommes-femmes, et un mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle –, l’existence d’initiatives locales similaires en France et au Japon a permis au coréalisateur du film de célébrer les apports mutuels et l’équilibre possible entre nos deux pays et cultures. Il a notamment été rappelé que les AMAP qui se développent rapidement en France ces dernières années sont nées au Japon, où elles sont appelées teikei – bien qu’elles y soient aujourd’hui peu répandues. La première étape reste toutefois de regarder les problèmes en face, alors que de nombreux Japonais et Français sont encore dans le déni.

Enfin, dans les trois villes, le rôle essentiel des communautés et des municipalités a été de maintes fois souligné. Ces entités, à l’échelle locale, peuvent agir en tant qu’investisseurs et facilitateurs d’initiatives individuelles et de projets imaginés et portés par les citoyens. La principale difficulté réside dans le premier pas pour changer ses habitudes, comme illustré à Fukuoka par Yuiko Taira et son projet Local Food Cycling (LFC).

En clôture du débat à Fukuoka, M. Masaharu Okada, directeur exécutif du Yunus & Shiiki Social Business Research Center de l’Université du Kyushu, a souligné que les mots clés des discussions avaient été « créativité », « autonomie », et « réforme douce ». Dans un contexte où un nouveau continent est en train d’émerger – un continent de plastique dans l’océan – et où l’humanité se dirige vers la destruction de la planète sur l’autel du profit, il a insisté sur le caractère d’urgence de se rapprocher de la nature. Il a appelé les entreprises japonaises à retrouver les valeurs de solidarité, de respect de la nature et de bien-être de la société qui prévalaient avant l’occidentalisation du pays.  

Les panélistes se sont accordés sur l’idée que les utopistes ne sont pas ceux que l’on désigne habituellement ; croire que l’on peut poursuivre indéfiniment sur la même voie relèverait finalement de l’utopie, tandis que le réalisme serait de d’ores et déjà entreprendre de changer, à sa propre échelle, à l’échelle de sa communauté. Afin de ne pas créer un monde bipolaire entre ces deux visions pour le futur, la pédagogie et la communication, à travers les films, documentaires et les débats d’idées, ont montré toute leur importance. « Témoigner, transmettre, agir », c’est le conseil qu’a donné Isabelle Delannoy. Jonathan Carène, quant à lui, a rappelé que les Japonais étaient capables d’un travail de grande qualité et de changer très vite. Il faudrait cependant accélérer le processus de décision, afin que le gouvernement, les entreprises et les citoyens s’engagent dans la transition écologique. A cette condition, le Japon pourrait ainsi en être l’un des leaders mondiaux.

© Dekiru, c’est possible

Les projections et débats à Tokyo, Kyoto et Fukuoka ont été organisées par l’Ambassade de France/Institut français du Japon, avec le soutien de Veolia Japan, du Ministère de la Transition écologique et solidaire, de la DG Trésor, de l’Université du Kyushu / Yunus & Shiiki Social Business Research Center, et le parrainage de la Ville de Fukuoka, du Club des partenaires de la France dans le Kyushu, de Japan Youth Platform for Sustainability (JYPS), Design for Change Japan, et le PNUD.

Compte-rendu rédigé par Marine Malacain (SER de Tokyo), avec la contribution de Sarah Vandy (Institut Français) et Stéfan Le Dû (SER de Tokyo).


 

[1] Extreme weather events ; Failure of climate-change mitigation and adaptation ; Natural disasters ; Man-made environmental disasters; Large-scale involuntary migration; Biodiversity loss and ecosystem collapse; Water crises. Les trois autres sont : Data fraud or theft; Cyber-attacks; Asset bubbles in a major economy.