PANORAMA DU SYSTEME FINANCIER JAPONAIS

 

Le 24 janvier 2019

slg  

 

Le Japon est une place financière majeure en termes d’actif financiers : près de 24 000 Milliards d’euros d’actifs financiers bruts, soit 6 fois le PIB du pays. En dépit de la présence de 3 méga-banques japonaises, le système financier japonais est très fragmenté : 3 559 établissements financiers y opèrent, sous différents statuts juridiques. La réglementation et la supervision sont aussi dispersées selon les différentes catégories d’établissements malgré la place centrale de la Financial Services Agency (FSA). Face à un environnement de taux durablement bas, une courbe des taux plate qui limite les marges d’intermédiation, face au déclin démographique, tout particulièrement en région, l’enjeu pour le secteur bancaire est celui de l’amélioration de sa rentabilité grâce à la rationalisation et la consolidation, la diversification des revenus, notamment via une internationalisation maîtrisée.

 1) Les établissements financiers japonais opèrent sur un marché pesant 6 fois le PIB du pays.

 Les actifs financiers bruts détenus par des agents non financiers au 30/09/2018[1] atteignent 1 859 trillions de yens (14 300 Mds d’euros [2]) pour les particuliers et 1 210 trillions de yens (9 300 Mds d’euros) pour les entreprises non-financières, soit un total de près de 6 fois le PIB du Japon. Le marché se caractérise par la prédominance des dépôts et des stocks de JGB (Japanese Government Bonds). Les grands investisseurs recherchent traditionnellement des rendements supérieurs à l’international.

Le secteur financier japonais comprend 3 559 acteurs répartis en trois catégories :

  • les établissements financiers de dépôts et de crédit : le secteur bancaire regroupe 1 417 entités qui couvrent 65% des actifs ;
  • le secteur des compagnies d’assurance, fonds de pensions et fonds de gestion d’actifs pèse 26% des actifs répartis sur 1 166 acteurs ;
  • 976 autres établissements financiers d’intermédiation, notamment les maisons de titres, contribuent à 9% des actif

 

 2) Le système bancaire japonais : un paysage fragmenté malgré la présence de poids lourds systémiques au niveau mondial

2.1) Le secteur bancaire japonais, malgré sa consolidation passée, se caractérise par un nombre élevé d’établissements de dépôt et de crédits et un montant élevé d’actifs détenus (total bilan des 1 417 établissements de l’ordre de 1 900 trillions de yens environ soit 14 600 Mds d’euros).

Les actifs financiers sont très importants compte tenu de l’épargne élevée des ménages japonais[3], de la trésorerie disponible au sein des entreprises et de l’importance de l’intermédiation bancaire en lien avec la faiblesse des dispositifs de financements désintermédiés.

 2.2) Le système bancaire se divise en trois catégories d’acteurs

 Les 1 417 établissements de dépôts et crédits se décomposent ainsi :

  1. 196 banques privées qui couvrent 55% des dépôts et 77% des crédits : on retrouve dans ce sous-groupe les grands banques privées (dont les 3 Mégabanques), les banques régionales, de nombreuses Trust Banks et Fiducies.
  2.  1 219 coopératives qui représentent 32% des dépôts et 21% des crédits.
  3.  2 banques publiques qui représentent 13% des dépôts du pays et 2% des crédits.

Les 196 établissements de dépôts et de crédit privés exercent sous le statut de société par action et sont régies par la Loi Bancaire de 1927 fortement révisée en 1981 (Banking Act). Ils regroupent notamment les City Banks, les banques régionales, les trusts banks, les banques étrangères.

Les City Banks[4] sont dominées par les 3 « megabanques » d’importance systémiques au niveau mondial : Bank of Tokyo-Mitsubishi UFJ (groupe MUFG), SMBC (groupe Sumitomo Mitsui), et Mizuho Bank (groupe Mizuho FG). Ces 3 banques représentent en global quelque 30% des actifs financiers (exercice fiscal 2017-2018). Au-delà de leur poids dans le système bancaire local, la déréglementation progressive leur a permis de former de véritables conglomérats financiers englobant les activités de gestion de patrimoine, de banques d’affaires, de maisons de titres.

Les 105 banques régionales sont des banques de proximité, très bien implantées auprès des PME et des collectivités locales, avec une distinction historique supplémentaire entre banques régionales de niveau I (64) et banques de niveau II (41). Les banques régionales étaient à l’origine des banques mutuelles qui se sont transformées en sociétés par actions Elles représentent 23% des dépôts et 31% des crédits.

Parmi les autres acteurs privés, 15 Trust Banks combinent les services de base des banques ordinaires (dépôts, prêts à long terme) et les activités de gestion d’actifs (y compris la gestion des actifs de fonds de pension privés et publics). Les Trust Banks sont très prisées au Japon car elles sont perçues comme offrant la meilleure protection aux déposants et sont très utilisées pour gérer les successions. Enfin les banques étrangères, au nombre de 54, représentent une fraction marginale des dépôts et seulement 1% des prêts.

Les coopératives représentent 32% des dépôts et 21% des crédits. Elles sont régies par des lois spécifiques. On distingue trois catégories :

  1. les 263 Shinkin Banks sont des institutions financières locales à statut de coopératives qui offrent à leurs sociétaires exclusivement des services de base identiques aux grands établissements financiers ;
  2. les 653 coopératives agricoles de crédit[5] issues de la branche financière du groupe JA (Nokyo / Japan Cooperatives). La supervision de ces coopératives agricoles ne relève pas de la Financial Service Agency mais du Ministère de l’Agriculture ;
  3. enfin, quelques 300 coopératives de crédit et les coopératives de travail sont régies par des législations spécifiques mais avec un champ d’activités beaucoup plus réduit que les Shinkins.

Deux établissements financiers publics de dépôts complètent le système bancaire : Japan Post gère un encours de 180 trillions de yens soit 1 420 Mds d’euros, 13% des dépôts totaux. Elle ne peut statutairement pas consentir de prêts[6], à la différence de la seconde entité, Shoko Chukin Bank, qui représente 2% des prêts.

 

3) Le secteur de l’assurance, des fonds de pensions et de la gestion d’actifs regroupe 26% des actifs (6 000 Mds €)

 3.1) Le secteur de l’assurance : le Japon abrite le 2ème marché mondial de l’assurance de personnes et le 4ème marché mondial de l’assurance dommages.

Assurance de personne. Le Japon est le 2ème marché mondial d’assurance vie derrière les Etats-Unis. Ce marché, dont le montant des primes équivaut à plus de 8% du PIB du pays, est partagé entre les sociétés privées d’assurance vie, les coopératives professionnelles et de consommateurs (« kyosai ») et Japan Post Insurance, filiale d’assurance vie du groupe Japan Post. On dénombre 41 compagnies privées d’assurance vie (hors kyosai) représentant 87% du marché, incluant 15 opérateurs étrangers pour une part de marché de 22%. Le portefeuille produit est le suivant : 20% Protection 80% Investissement (Yen, USD, Asiadollar). Des tendances fortes apparaissent déjà en lien avec le déclin démographique et la désertification des campagnes. En effet, la sortie des contrats d’assurance vie se fait en grande majorité sous forme de capital et non sous forme de rente. Or, le Japon connaît 1 300 000 décès par an et les bénéficiaires sont souvent des héritiers qui habitent dans les villes, ce qui impactera à terme les ressources des banques régionales.

Assurance dommages. Le Japon est le 4ème marché d’assurance dommage au monde derrière les Etats-Unis, la Chine et l’Allemagne. Le volume des primes perçues au Japon représente 2% du PIB. Les sociétés privées d’assurance dommage (52 établissements dont 22 établissements étrangers) dominent le secteur avec 70% de part de marché, contre 30% pour les Kyosai (activités d’assurance mutuelle des coopératives agricoles)[7].

 3.2) Les fonds de pension : le montant des actifs gérés par les fonds de pension publics et privés s’élève à 292 trillions de yens (2 300 Mds d’euros ou 55% du PIB).

Le Japon est au 3ème rang mondial selon l’étude WillisTowerWatson, après les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Le Japon est l’un des rares pays développés où le poids des fonds publics est supérieur à ceux du secteur privé (deux tiers de l’encours total). Cette spécificité s’explique par l’importance du Government Pension Investment Fund (GPIF), le plus grand fonds de pension gouvernemental au monde (1 250 Milliards €), qui représente à lui seul 50% des actifs des fonds de pension au Japon.

Les sociétés de gestion stricto sensu sont régulées par le Financial Instruments and Exchange Act de 2007 (FIEA) et sont agréées pour la vente, la gestion, le conseil et la conservation des titres. 

  

4) Les autres établissements financiers d’intermédiation représentent 9% des actifs totaux

Les maisons de titres (securities) sont régulées par le FIEA. Ce sont des établissements spécifiques dans le paysage financier japonais, dont l’origine s’explique par le principe de séparation structurelle de la banque de dépôt et d’investissement, sur le modèle du Glass Steagall Banking Act américain. Les maisons de titres ne collectent pas de dépôts mais servent d’intermédiaires exclusifs entre les investisseurs et les marchés financiers japonais[8]. La Japan Securities Dealers Association (JSDA) compte 264 membres, dont 2 opérateurs majeurs Nomura et Daiwa. Les commissions sur transaction sont estimées à 4 trillions de yens par an (31 Mds d’euros). La dérégulation du secteur financier a permis aux banques, notamment aux trois « megabanques », de se lancer dans des activités de courtage aux travers de filiales ayant ce statut.

Les autres établissements publics ont des missions ciblées : Japan Bank for International Cooperation soutient l’internationalisation des entreprises grâce à des prêts export et en soutien aux Investissements Directs Etrangers (160 Milliards € d’en-cours), la Development Bank of Japan soutient les projets d’infrastructures de biens publics.

Les entités non-bancaires (« Non Banks ») regroupent les établissements de prêts enregistrés auprès de la Japan Financial Services Association : sociétés de financement de la consommation, sociétés de carte de crédit et sociétés spécialisées dans le financement des TPE-profession libérale. Leurs encours de prêts sont évalués à 1,2% des encours totaux de prêts du pays.

 

5) Changements de stratégies depuis les Abenomics : diversification des actifs et internationalisation

Le comportement d’épargne des ménages japonais se caractérise par une intolérance au risque et la préférence à la liquidité bancaire, d’où l’accumulation de dépôt auprès des banques. L’introduction récente du NISA (équivalent PEA) n’a pas bouleversé les habitudes des déposants. Les établissements financiers, noyés sous les dépôts et les JGB, ont modifié leur stratégie dans le sillage des Abenomics : vente massive de JGB à la Banque du Japon qui détient désormais 42% des JGB et diversification des placements vers les marchés souverains étrangers et les marchés actions. Le fonds de pension public a également diversifié son portefeuille.

Par ailleurs, les Abenomics, en prônant l’ouverture à l’extérieur, ont suscité une internationalisation des entreprises japonaises, ce qui a permis aux grandes banques japonaises et étrangères de diversifier leurs revenus en finançant des projets internationaux des entreprises japonaises (financement de projets, cash management, financement export, crédits syndiqués). Les transactions de fusion-acquisition connaissent également un record sur 2018. On estime désormais la part du revenu des grandes banques japonaises liée aux opérations internationales à 40%.

Les 105 banques régionales, de taille plus petite et historiquement tournées vers le marché domestique, voient leur marché se réduire en lien avec le déclin démographique, particulièrement marqué en province. Elles tentent également de diversifier leurs engagements en prospectant de nouvelles provinces et en développant leur ouverture à l’international.

Au total, les encours transfrontaliers des banques japonaises ont bondi de 500 à 800 Mds USD au cours des 5 dernières années. Ce rythme de croissance pourrait toutefois diminuer compte tenu de la hausse des coûts de financement en dollar, liée à la hausse des taux aux Etats-Unis.  

   

6) Enjeux et vulnérabilités : les banques régionales sont sous étroite surveillance

 Dans sa revue de stabilité financière d’octobre 2018, la Banque du Japon ne fait état d’aucun point d’attention significatif quant au bon fonctionnement du secteur et des marchés financiers. Dans un contexte où les conditions de financement des entreprises et les ménages sont qualifiées « d’accommodantes », le tableau de bord semestriel des risques du secteur financier ne déplore ni surchauffe ni rétrécissement de l’environnement financier. Le rapport de stabilité financière mentionne toutefois que les risques se sont accrus et souligne plusieurs fragilités au niveau des banques régionales et shinkins banks : une baisse régulière de leur rentabilité depuis 2012 (54 banques régionales affichent des pertes sur leur core business) ; une intensification de la concurrence en région, compte tenu de la baisse du marché directement liée au déclin démographique ; une forte exposition aux prêts immobiliers ; une faible part des revenus issus des commissions (10% du résultat brut d’exploitation) ; une stratégie de diversification des revenus qui pourrait être mal maîtrisée ; un manque d’ambition sur les gains attendus en termes d’efficacité administrative.

 La FSA affiche 7 objectifs pour 2018 qui illustrent bien les enjeux actuels du système financier japonais : la mise en place d’une stratégie visant à accélérer la digitalisation des banques, à accueillir de nouveaux acteurs innovants ; la promotion d’instruments financiers et produits d’assurance compatibles avec les besoins d’une population vieillissante ; la revitalisation des marchés financiers grâce à une meilleure orientation de l’épargne vers l’investissement, le renforcement de l’intégrité et de la transparence du marché ; le renforcement de la stabilité financière grâce à une amélioration de la gouvernance et du contrôle interne au sein de banques régionales pour maîtriser le risque lié à leur stratégie de diversification ; l’amélioration de la confiance des déposants et leur protection ; la coopération internationale, tout particulièrement dans le cadre du G20.

 

  1. Le système financier japonais, en dépit de sa fragmentation, présente des similitudes avec le paysage français : présence de grandes banques d’importance systémique, d’établissements coopératifs ou mutualistes particuliers, rôle de la banque postale, poids des dépôts.
  2. A ce stade le système financier japonais est jugé résilient. Néanmoins, la Banque du Japon et la FSA expriment leurs inquiétudes sur la baisse de la rentabilité du secteur, dans un environnement de taux durablement bas au Japon. La diversification internationale des banques doit s’accompagner d’une bonne maîtrise des risques associés. La rationalisation des banques régionales et leur consolidation sont également à suivre. Le déclin démographique, la désertification des campagnes, le retard dans la digitalisation sont autant de menaces pour les banques régionales japonaises.

 


 

[1] Hors autorités publiques centrales et locales, source Banque du Japon

[2] Taux de change moyen sur l’exercice 2018 : 130 yens pour un euro.

[3] Selon l’étude 2018 d’Allianz Global Wealth Report, le patrimoine financier moyen d’un japonais s’élève en 2017 à 112 470 € brut et 92 000 € net (versus 83 000€ et 59 000€ pour un français).

[4] Mitsubishi (MUFG), Sumitomo (SMBC), Mizuho, Mitsui Sumitomo Trust and Banking (MSTB), Resona.

[5] Coopératives à but non lucratif, avec un organe central Norinchukin devenu une institution financière privée en 1986.

[6] Cette situation pourra être amenée à évoluer avec le processus de privatisation en cours depuis 2007.

[7] Les sociétés privées d’assurance sont supervisées par la Financial Services Agency tandis que les assurances Kyosai obéissent à une législation spécifique.

[8] Activités de courtage, de souscription, distribution et vente sur le marché

 

Les informations présentées dans cet article sont identifiées par le SER de Tokyo. Elles n'ont aucune vocation d'exhaustivité. Les avis exprimés sont les résumés des articles et données sources.

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